lundi 29 mars 2010

Il était une fois une chatte nommée Désir qui arriva en tramway jusqu'à son toit brûlant ...

Un tramway nommé désir
suivi de
La chatte sur un toit brûlant
Tennessee Williams

Livre de poche, 1966.

Dans Un tramway nommé désir, une jeune femme trop élégante pour ce quartier de la Nouvelle-Orléans hésite devant une porte. Elle vient chez sa sœur Stella, Mrs Stanley Kowalsky. Elle ne s'attendait pas à un endroit pareil : rien que deux pièces, pas de bonne ... elle, Blanche Du Bois, est habituée à autre chose.
Piqué au vif, Kowalsky enquêtesur cette prétentieuse belle-soeur.

Heure de vérité aussi dans une plantation du Sud pour Grand-père Pollitt et son fils préféré, Brick, dans La chatte sur un toit brûlant. La chatte, c'est Maggie, la femme de Brick qui la repousse parce qu'il la croit responsable de la mort de son meilleur ami. De même que Grand-père se croit exempt d'un cancer, de même que Grand-mère se croit aimée ...

Je ne lis que très rarement du théâtre. J'ai connu Tennessee Williams à l'université en cours d'Anglais. J'ai beaucoup aimé son atmosphère à la West side story (en moins romantique tout de même) et depuis, je gardais dans l'idée de lire ses œuvres un jour. Me replonger dans des pièces de théâtre m'a ravie.
L'univers de Tennessee Williams est très noir. Les gens sans défauts, sans vices ne l'intéressent pas. Il préfère apparemment les personnages durs, violents, prêts à chuter, au bord du gouffre.
Je connaissais l'histoire d'Un tramway nommé désir. J'ai aimé cette pièce presque tragique, ce huis clos étouffant où règne une atmosphère sensuelle et violente. Je l'ai trouvée assez complexe. Pas à lire, la lecture est simple, coulante, vivante. Mais les personnages d'Un tramway nommé désir, surtout Blanche, sont assez déstabilisants. Ils sont très profonds. Leur caractère, même si Williams nous montre que ce qu'il veut, est étudié dans les moindres détails. Le passé de Blanche est simplement évoqué, mais l'on prend conscience qu'il a été travaillé, réfléchi par l'auteur.
Une pièce qui se lit vite, une pièce passionnante et marquante.
Je connaissais La chatte sur un toit brûlant que de nom (les titres de Williams sont si imaginatifs qu'ils marquent), je ne savais rien de l'histoire. Cette pièce m'a séduite. Elle est sombre, mais elle est optimiste contrairement à Un tramway nommé désir. Moins violente, moins crue, j'ai trouvé La chatte sur un toit brûlant très moderne, parlant de sujets universels et posant des questions essentielles.
Dans les deux pièces, certaines scènes sont très marquantes. Tennessee Williams a un talent fou pour écrire des dialogues facilement imaginables sur scène. On voit les personnages évoluer, bouger. Les didascalies sont très bien faites. On a une excellente vision de la pièce en la lisant.
Les deux pièces traitent des mêmes sujets : la violence, la destruction, le sexe, le mal de vivre, les désillusions, l'alcoolisme, ... Elles parlent de l'être humain dans ses recoins les plus sombres, dans son humanité la plus brute.

Deux très bonnes pièces, des classiques de la littérature américaine qu'il faut découvrir. Un petit plaisir littéraire qui nous plonge dans l'Amérique des années 50.

" Il agit comme une bête! Il a les manières d'une bête ! Il mange comme une bête! Il rôde comme une bête! Il parle comme une bête ... C'est un être préhistorique, il n'a pas encore tout à fait atteint l'ère humaine. Il y a quelque chose en lui qui rappelle le singe. Comme ces gravures que j'ai vues dans les livres d'anthropologie ... Des milliers et des milliers d'années ont passé sur lui, sans le marquer ... et le voici, Stanley Kowalsky : le survivant de l'âge de pierre, revenant de la jungle, rapportant la viande crue ... et toi ... toi ici, qui l'attends, Stella. "
(Un tramway nommé désir, Williams, 1966, Scène 4, Acte I, p126)

(Figaro.fr. Un tramway nommé désir avec Marlon Brandon et Vivien Leigh)

" Dans sa beauté, je vois la mienne. "

Precious (Push)
Sapphire

Points, 2010.

Precious, seize ans, claque la porte. Elle ne se laissera plus cogner par sa mère, ni violer et engrosser encore une fois par son père. Jamais. Virée de l'école, elle envisage une nouvelle vie, loin de Harlem et du ghetto afro-américain de son enfance. Elle veut apprendre à lire et à écrire, raconter son histoire à travers des poèmes et élever dignement son fils.

Que dire?
Ce livre est dur. On n'en sort pas indemne. L'histoire de Precious dépasse l'entendement. Violée par son père qui lui fait deux enfants, un à l'âge de douze ans qui naîtra trisomique, l'autre à seize ans, l'âge qu'a Precious lorsqu'elle nous raconte son histoire. Battue, humiliée, violée également par sa mère, Precious n'a personne. L'amour pur, simple, doux, elle ne connait pas. Et pourtant, malgré cela, Precious est une jeune fille douce, pleine d'espoir, de rage positive, une jeune femme qui aime ses enfants, qui a plein d'amour à donner. On aime Precious, ce petit être précieux, nécessaire, symbole de tous les enfants battus et violés.
Certes, certaines scènes de ce roman sont presque insoutenables. Mais jamais Sapphire ne tombe dans le voyeurisme. C'est Precious qui nous raconte sa vie avec ses mots, ses émotions, sa franchise, sa douleur. Sapphire ne tombe pas non plus dans le larmoyant poussé à l'extrême. Precious raconte les faits et ne cherche pas à nous faire sortir les larmes absolument. Elle raconte sa vie ...
Malgré tous les aspects sombres et violents de ce roman, c'est un livre d'espoir, de vie, d'amour. Precious apprend à lire, tente de s'en sortir, lutte avec un amour de la vie incroyable. Grâce à des personnes qui souffrent ou ont souffert, des personnes qui la comprennent, Precious va apprendre à vivre, à s'accepter, à s'aimer.
Et puis, il y a cette écriture. Celle d'une jeune femme qui apprend à lire et à écrire, qui se met nue devant nous, avec ses fautes d'orthographe et sa dyslexie. Precious est franche, vraie, honnête ... belle.
Un roman nécessaire, une belle leçon d'optimisme. Une grosse claque.

Le roman La couleur pourpre d'Alice Walker est très souvent cité. Je le note, j'ai très envie de le lire.
Pour ceux que ça intéresse, la bande annonce du film Precious actuellement au cinéma et adapté du roman de Sapphire.


" Ça me fait penser comme dit Rhonda, comme dit Farrakhan - y a un dieu. Mais moi quand j'y pense je penche plutôt avec Shug dans La couleur pourpre. Dieu est pas blanc, il est pas ni juif ou musulman, ptête qu'il est même pas noir, ptête que c'est même pas un "il". /.../ Je me rappelle de quand j'ai eu ma fille, l'infirmière gentille avec moi - tout ça c'est dieu. Shug dans La couleur pourpre a dit que c'est la "merveille" des fleurs pourpres. Je suis d'accord, même que j'ai jamais vu ni eu aucune fleur comme celle qu'a parle."
(Precious, 2010, p167)

(Source image : nanou10.bloguez.com)

On a beau écraser des pousses de bambou ... Il y en aura toujours des nouvelles qui pousseront!

Terre coréenne
Pearl Buck

Livre de poche, 1971.

Dans le somptueux décor d'une cour asiatique, dans les admirables paysages de la Corée, nous voyons vivre, aimer, souffrir trois générations d'une même famille de coréens, qui luttent pour la libération de leur pays écrasé par l'occupation.
Les "ancêtres", Il-Han et Sunia, ont mené une vie sédentaire et obéi à des traditions millénaires. Mais déjà les deux guerres mondiales ont eu leurs répercussions en Corée et anéanti les traditions qui en faisaient certes le charme et peut-être la faiblesse. Hors de ce cercle éclaté, les deux fils du couple suranné connaissent des idylles tragiques. De leurs brèves unions naissent à leur tour deux fils dont le destin fort dissemblable symbolise les deux forces opposées qui déchirent le monde moderne.

En ouvrant ce texte, je me suis demander pourquoi. Pourquoi avoir mis tant de temps avant de rouvrir un Pearl Buck? D'habitude, je lis un de ses romans chaque année. Et pourtant, l'année dernière, je ne l'ai pas fait. Je ne sais pas pourquoi. Et puis, il y a quelques semaines, j'ai de nouveau ressenti ce besoin, cette envie dévorante de me plonger dans ce si exceptionnel monde de Pearl Buck.
Comme pour chacun de ses romans, nous retrouvons cette écriture si douce, sensible, poétique. Un petit bijou d'instants magiques! On se replonge dans cet amour si fort que Pearl Buck a pour la vie, pour ces moments simples, éphémères, mais si précieux. Un regard sur des jeunes pousses de bambou, un thé au jardin, une main tendue, un sourire, une communion muette. Pourtant, Pearl Buck nous conte une histoire dure, révoltante, parfois tragique. Mais l'amour de la vie maintient les personnages dans leur courage et leur espoir.
Les thèmes chers à l'auteur sont de nouveaux traités : la confrontation entre les anciennes traditions et les nouvelles, entre l'orient et l'occident, entre les ancêtres et la jeune génération. Bien que ces thèmes soient presque récurrents dans les romans de Pearl Buck. Ils sont toujours traités autrement. On ne s'en lasse pas. Elle développe toujours un peu plus le sujet, bouscule nos idées, nos émotions. Il y a des passages croustillants et sublimes dans Terre coréenne qui nous montrent bien la différence de culture entre l'orient et l'occident.
Pearl Buck a une vision sublime de l'être humain. Pas dure, pas naïve non plus, réaliste mais compatissante et compréhensive. Pas de super méchants, pas de super gentils. Seulement des hommes et des femmes qui survivent comme ils peuvent et de la manière qu'ils croient juste.
C'est la première fois que je lis un Pearl Buck évoquant un autre que la Chine. J'ai aimé me plonger dans l'histoire de ce pays que je connais peu : la Corée. Une terre prise entre trois puissances : la Chine, la Russie et le Japon. Un pays qui tente de se faire une place, de survivre entre ces trois dragons qui l'entourent. L'histoire de la Corée que nous conte Pearl Buck est bouleversante. Et quand on sait où ce pays (devenu LES pays) en est en ce moment, cela donne envie de hurler.
Après La mère, Pavillon de femmes, Pivoine, L'exilée, La terre chinoise, Vent d'Est vent d'Ouest et Impératrice de Chine, voilà un nouveau coup de cœur absolu pour Terre coréenne.

Une sublime histoire de famille racontée par une main de maître ...

Lisez Pearl Buck! Sortez-la des vides greniers, des brocantes, achetez les quelques malheureux titres qui paraissent encore en librairie, plongez dans son monde, faîtes la revivre, ne la laissez pas tomber dans l'oubli ...

" Elle s'assit gracieusement sur un coussin, parfaitement consciente d'appartenir à une nation privilégiée où les femmes gardaient leur fierté et ne s'agenouillaient pas devant leur mari comme au Japon, ne se bandaient pas les pieds comme en Chine, et ne se comprimaient pas la taille comme le faisaient, disait-on, les femmes occidentales. En Corée, mari et femme étaient égaux en dignité, chacun à leur place, et les grands fils n'avaient pas le droit de commander à leur mère. Au palais royal, si le roi venait à mourir, laissant un héritier trop jeune pour régner, la reine douairière assurait la régence jusqu'à la majorité de celui-ci. Il-Han avait aussi habitué Sunia à la liberté, en partie parce qu'il la respectait autant qu'il l'aimait, et en partie parce qu'il avait entendu parler de la liberté des femmes occidentales. Sa mère lui avait pourtant vanté les anciens temps où les femmes passaient inaperçues et n'avaient le droit de sortir dans la rue qu'à certaine heure. Les mœurs étaient si sévères dans ce temps-là que, si un homme regardait une femme sans permission, on lui coupait la tête! "
(Terre coréenne, 1971, p93/94)


(Source image : eurasie.net. Peinture de Sounya, artiste coréenne)

Le Salon du Livre est une malédiction .... pour le compte en banque!

Vendredi dernier, je suis allée en Salon du Livre de Paris pour la 4ème année consécutive. Et bien sûr, j'ai fait des achats. Achats d'ailleurs très différents de mes habitudes de lecture ...

- Rocher de Brighton de Graham Greene : C'est un roman figurant dans la liste Matilda's contest. Le sujet m'intrigue, j'aime cette collection, j'ai craqué!


- Precious de Sapphire : Je voulais absolument voir le film tout en ignorant qu'il était adapté d'un roman. Ma camarade Forever du Salon du Livre m'a encouragée à l'acheter ... et j'ai écouté! Je l'ai d'ailleurs ouvert le soir même et terminé le lendemain matin. Je vous en parle dans la journée!
- Shutter Island de Dennis Lehane : Moi? Un thriller? C'est une journée à souligner dans les agendas. A part Hercule Poirot et Sherlock Holmes, très peu d'enquêtes policières me tentent. Sauf les Millenium que je me suis offerte il y a quelque temps et lui, Shutter Island ... et tout ça à cause de cette dame là!



- Poèmes d'Emily Brontë et Poèmes et poésies de John Keats : Parce que j'ai envie de poésie en ce moment et puis, Emily c'est Emily et Keats à cause de la bande annonce du film Bright Star que je regarde en boucle.

vendredi 19 mars 2010

RElecture : Un peu de poésie dans ce monde de brut!

Poèmes saturniens
Paul Verlaine

Le livre de poche, 2004.

Des Poèmes saturniens, entendons qu'ils sont placés sous le signe de Saturne. Ils seront donc inspirés : il n'était pas inutile de l'affirmer alors que régnaient encore des versificateurs parnassiens. Ils seront aussi baignés d'une rêverie douce et savante, tandis que le poète tournera son regard vers l'intérieur. Point ou peu de récits ou d'anecdotes. Ici l'on se souvient, l'espace d'un sonnet - et non d'un interminable poème-, sur un air de chanson grise. Et il n'est pas jusqu'à celle que l'on aime qui ne prenne une forme incertaine.
Tout semble simple. Tout est savant, mais d'une technique si maîtrisée qu'elle a cessé d'être visible, au point que beaucoup s'y sont trompés. Verlaine est un poète à la fois immédiat et difficile. Il exige donc une annotation riche et précise (combien de parodies qui avaient échappé jusqu'à cette édition à l'attention des lecteurs ?), une attention à la langue et à la prosodie, alors, mais alors seulement, comme l'avait dit à peu près Ovide : Maintenant, va mon livre, où le hasard te mène !

J'ai eu une envie soudaine, il y a quelques jours, d'ouvrir un recueil de poésies. J'ai eu envie d'en lire comme ça de temps à autre, en piocher une, le reposer, en reprendre une autre, la déguster. J'ai choisi Poèmes saturniens de Verlaine que j'avais déjà ouvert il y a quelques années avec plaisir. Et cette fois-ci aussi ce fut un régal!
Je dois avouer que je ne suis pas une pro de la poésie. La versification et les théories stylistiques sur les poèmes n'ont jamais été mon fort. Autant me prendre la tête sur un roman, j'y arrive et ça me plaît. Autant, la poésie pour moi, c'est d'abord une question de sensations. J'aime me laisser aller, me laisser voguer sur la magie des mots. Même si je ne comprends pas tout, peu importe. Ça me détend, ça m'apaise, c'est beau. Je n'ai pas envie de me laisser culpabiliser par les champions de la versification qui trouveraient choquant de me voir lire des textes sans en comprendre la moitié. Tant pis! Je comprends l'ambiance, les sensations, les odeurs, les couleurs. Ça me suffit! J'ai adoré ces derniers jours où la première chose que je faisais en me réveillant, c'était de prendre le temps, pas plus de cinq minutes, pour lire un ou deux poèmes.
Bon ... Revenons à Verlaine! Ce que je préfère ce sont ses descriptions de paysages. J'aime comment il parle de la Nature. On a la sensation de pouvoir toucher du doigt ces paysages . Chanson d'automne, Un dahlia, ... sont de pures petites merveilles! Ce sont des poèmes faciles d'accès, agréables à lire, doux et sensibles. Même si je n'ai pas toujours tout compris, je me suis laissée aller ... et j'ai aimé ça!
Un recueil qui m'a donnée envie de me racheter quelques textes de poètes, de recommencer cette agréable expérience de lire une petite poésie en se réveillant le matin ... J'ai envie (enfin) de lire un recueil des quatrains de Louise Labé, mais aussi découvrir la poésie asiatique.
Suite au prochain épisode!

Dans les bois

D'autres, ― des innocents ou bien des lymphatiques, ―
Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux,
Souffles frais et parfums tièdes. Ils sont heureux !
D'autres s'y sentent pris ― rêveurs ― d'effrois mystiques.

Ils sont heureux ! Pour moi, nerveux, et qu'un remords
Épouvantable et vague affole sans relâche,
Par les forêts je tremble à la façon d'un lâche
Qui craindrait une embûche ou qui verrait des morts.

Ces grands rameaux jamais apaisés, comme l'onde,
D'où tombe un noir silence avec une ombre encor
Plus noire, tout ce morne et sinistre décor
Me remplit d'une horreur triviale et profonde.

Surtout les soirs d'été : la rougeur du couchant
Se fond dans le gris bleu des brumes qu'elle teinte
D'incendie et de sang ; et l'angélus qui tinte
Au lointain semble un cri plaintif se rapprochant.


Le vent se lève chaud et lourd, un frisson passe
Et repasse, toujours plus fort, dans l'épaisseur
Toujours plus sombre des hauts chênes, obsesseur,
Et s'éparpille, ainsi qu'un miasme, dans l'espace.

La nuit vient. Le hibou s'envole. C'est l'instant
Où l'on songe aux récits des aïeules naïves...
Sous un fourré, là-bas, là-bas, des sources vives
Font un bruit d'assassins postés se concertant.

(Poèmes saturniens, Verlaine, Livre de poche, 2004, p97,98)

(Source image : Bright Star de Jane Campion sur parismatch.com)

mardi 16 mars 2010

" Ignorer le passé, c'est aussi raccourcir l'avenir. "

Lignes de faille
Nancy Huston

Babel, 2007.

Entre un jeune Californien du XXIe siècle et une fillette allemande des années 1940, rien de commun si ce n'est le sang. Pourtant, de l'arrière-grand-mère au petit garçon, chaque génération subit les séismes politiques ou intimes déclenchés par la génération précédente. Monstrueuses ou drôles, attachantes ou désespérées, les voix de Sol, Randall, Sadie et Kristina - des enfants de six ans dont chacun est le parent du précédent - racontent, au cours d'une marche à rebours vertigineuse, la violence du monde qui est le nôtre, de San Francisco à Munich, de Haïfa à Toronto et New York. Quel que soit le dieu vers lequel on se tourne, quelle que soit l'époque où l'on vit, l'homme a toujours le dernier mot, et avec lui la barbarie. C'est contre elle pourtant que s'élève ce roman éblouissant où, avec amour, avec rage, Nancy Huston célèbre la mémoire, la fidélité, la résistance et la musique comme alternatives au mensonge.


Dans les premiers temps, j'ai été un peu déstabilisée. Sol, ce petit garçon de 6 ans qui ouvre le roman, rend très mal à l'aise. Langage trop adulte, attitudes et pensées obscènes, j'ai parcouru les premiers mots avec un très gros doute : est-ce que Nancy Huston va continuer tout le roman sur ce ton là? Heureusement, non. Et même si les premières pages ont un côté malsain, elles ont leur explication. Sol appartient à une société où l'enfant est roi, il n'a plus de limites, il se cherche. Et Nancy Huston condamne cette nouvelle façon d'éduquer qui fait des enfants de véritables petits adultes. Cette étape passée, on ne peut que difficilement posé le roman. Surtout à partir de la seconde partie où l'on suit Randall. En ce qui me concerne, c'est à partir de ce moment que je n'ai plus réussi à lâcher le roman. Ce dernier est composé de quatre parties : une première sur Sol se passant en 2004, la seconde en 1984 racontant l'histoire de Randall, ensuite vient Saddie en 1962 et enfin, Kristina en 1944-45. Chaque personnage est un enfant de 6 ans et est le père ou la mère de l'enfant précédent. Cette construction en forme de chronologie inversée et, pour moi, le point fort de ce roman. Tous les événements actuels sont liés aux événements passés comme si l'espace et le temps ne comptaient plus. Même s'il s'agit de 4 époques différentes, de 4 lieux différents, la roue infernale apporte son lot de malheur, de guerre, de questionnements, ... Sol m'a chamboulée plus que bouleversée. J'ai compris l'horreur silencieuse dans laquelle il était plongé. Même si je n'ai pas eu d'affection pour lui, j'ai compris sa souffrance, sa détresse. L'histoire de Randall m'a beaucoup parlée car elle est proche de nous, proche de ce que je connais. J'ai eu le coeur serré lorsque l'auteur parle du conflit israëlo-palestinien. C'est un petit garçon attachant. On aime également son père, homme merveilleux et sensible. Celle de Sadie touche davantage notre moi profond. Cette petite fille s'interroge sur le sens de la vie, elle cherche un bonheur simple qui semble totalement intouchable. On aimerait la serrer dans nos bras. Quant à Kristina, l'origine de tout, c'est une enfant normale malmenée par la guerre et ses horreurs. Une enfant parmi tant d'autres ...

Dans les toutes premières pages, on croit comprendre l'histoire de l'arrière grand-mère de Sol. ça nous paraît évident. Mais en lisant la seconde partie, des indices semblent nous murmurer que l'on s'est probablement trompé de voie. Tout s'éclaire petit à petit, les pièces s'emboitent et les réponses arrivent. Mais pas toutes les réponses. Certaines restent en suspend et nous confirment que les secrets de famille sont comme un puits sans fond.

J'ai découvert, pour ma part, un aspect de l'horreur nazi que je ne connaissais absolument pas. Nancy Huston a choisi de nous parler de la seconde guerre modiale autrement et de nous rappeler aussi que ces événements ne sont pas rattachés qu'au passé mais qu'ils sont toujours là, en nous, mais aussi dans d'autres pays où les horreurs retentissent encore et encore. Les générations ont beau se succéder, les mentalités semblent inchangées.

Un roman qui pose énormément d'interrogations, qui chamboule, qui bouscule. Un roman vraiment magnifique, un traitement parfait des sentiments humains, bons ou mauvais, l'histoire d'hommes et de femmes qui ne cherchent que le bonheur, cette petite bête étrange qui semble se dérober dès qu'on s'approche.

A lire!

(Citation en titre du billet : Julien Green. proverbes-citations-fr.com)

" Ce printemps j'ai senti pour la première fois la forme d'une année. Quand les feuilles ont commencé à sortir sur les arbres, je me suis rappelé très fort comme elles étaient sorties au printemps dernier et je me suis dit, tout étonné : Alors c'est ça, une année. "

(Lignes de faille, Huston, Babel, 2007, p 133)

(Source image : college-de-vevey.vd.ch)

vendredi 12 mars 2010

" Quelque amour de l'art qu'on ait, il est des choses qu'on ne peut pas longtemps se contenter de regarder. "

Mademoiselle de Maupin
Théophile Gautier
Défi J'aime les classiques (Mars)

Folio classique, Gallimard, 2004.

A la fin du XVIIème siècle, mademoiselle de Maupin, belle, riche et indépendante, décide de se travestir en homme afin d'espionner le coeur masculin et savoir comment sont considérées les femmes. Elle est tout d'abord consternée, puis se prend au jeu de sa supercherie.
(Couverture de l'édition France Loisirs, collection La petite bibliothèque, 2005).


Je ne connais que très peu Théophile Gautier. Enfin, je devrais plutôt dire pas du tout. Je n'ai lu que Voyage en Espagne de cet auteur pour un cours sur les récits de voyage. C'est donc avec curiosité que j'ai ouvert Mademoiselle de Maupin, texte célèbre grâce à sa mythique préface. J'ai découvert un style frais, extrêmement drôle. J'ai beaucoup ri en lisant ce texte. Les premières pages m'ont ravie. Mêlant instants comiques et instants poétiques, Gautier m'a prise par la main et entraînée dans son monde. J'ai été surprise de trouver dans les premières pages un style épistolaire. Mais en réalité, Gautier mélange plusieurs genres. Ce n'est pas un roman épisolaire à proprement parler. Plusieurs voix nous conte ce récit : D'Albert, jeune romantique en quête de Madame Parfaite qui écrit à son ami Silvio ; Mademoiselle de Maupin (ou Théodore), jeune femme aventurière travestie en homme contant ses péripéties à Graciosa et enfin, Théophile Gautier lui-même.

J'ai trouvé ce texte très libertin et c'est ce qui fait son charme. Mademoiselle de Maupin est d'une très grande sensualité. Gautier parle de sexe et il assume. Des scènes érotiques très belles où les corps sont sublimés. Il arrive à nous faire autant rire qu'à nous laisser bouche bée devant une scène d'une grande poésie.

Certains chapitres sont un peu longs tout de même. Surtout ceux où D'Albert épanche son coeur lourd de réflexions. Ces scènes sont intéressantes, mais tournent parfois un peu en rond. Et puis, D'Albert n'est pas un personnage que j'ai aimé. Autant Madeleine de Maupin m'a envoûée, son côté aventurière, femme moderne et indépendante m'a séduite, autant j'ai trouvé d'Albert futile et égocentrique. Mais il l'avoue lui-même : " Je me soucie assez peu que les paysans sachent lire ou non, et que les hommes mangent du pain ou broutent de l'herbe " (p284).

Il n'y a pas réellement d'intrigue dans ce roman. Le secret de Mademoiselle de Maupin est très vite dévoilé. Mais cela n'empêche pas de dévorer ce texte et de l'aimer.

Un très bon moment de lecture qui me donne vraiment envie de découvrir plus en profondeur Théophile Gautier. Un style prenant et une écriture trépidante.

L'avis de Ys.

" Beaucoup de choses sont ennuyeuses : il est ennuyeux de rendre l’argent qu’on avait emprunté, et qu’on s’était accoutumé à regarder comme à soi ; il est ennuyeux de caresser aujourd’hui la femme qu’on aimait hier ; il est ennuyeux d’aller dans une maison à l’heure du dîner, et de trouver que les maîtres sont partis pour la campagne depuis un mois ; il est ennuyeux de faire un roman, et plus ennuyeux de le lire ; il est ennuyeux d’avoir un bouton sur le nez et les lèvres gercées le jour où l’on va rendre visite à l’idole de son cœur ; il est ennuyeux d’être chaussé de bottes facétieuses, souriant au pavé par toutes leurs coutures, et surtout de loger le vide derrière les toiles d’araignée de son gousset ; il est ennuyeux d’être portier ; il est ennuyeux d’être empereur ; il est ennuyeux d’être soi, et même d’être un autre ; il est ennuyeux d’aller à pied parce que l’on se fait mal à ses cors, à cheval parce que l’on s’écorche l’antithèse du devant, en voiture parce qu’un gros homme se fait immanquablement un oreiller de votre épaule, sur le paquebot parce que l’on a le mal de mer et qu’on se vomit tout entier ; – il est ennuyeux d’être en hiver parce que l’on grelotte, et en été parce qu’on sue ; mais ce qu’il y a de plus ennuyeux sur terre, en enfer et au ciel, c’est assurément une tragédie, à moins que ce ne soit un drame ou une comédie."
(Mademoiselle de Maupin, Gautier, édition France Loisirs, collection La petite bibliothèque, 2005, p255-6).

(Source image : nyu.edu)

dimanche 7 mars 2010

Dernières folies ...

Un petit tour à la bouquinerie et voilà le résultat :

La renarde de Mary Webb : Je possède déjà Sarn d'elle que je n'ai pas encore lu. Mais sans la connaître vraiment, je sais que cet auteur me plaira. L'Angleterre, la nature, ...

Un tramway nommé désir (suivi de La chatte sur un toit brûlant) de Tennessee Williams : J'ai étudié très superciellement cet auteur à la fac' en cours d'anglais avec sa pièce La ménagerie de verre. Je me souviens avoir trouvé ses analyses, ses métaphores très subtiles. Je me suis toujours dit que j'essaierai un jour de le lire. Puis, récemment je suis tombée sur un épisode des Simpsons (le premier qui rit ... gare!) où Marge jouait dans une adaptation d'Un tramway nommé désir. Je suis allée voir des extraits du film avec Marlon Brando et Vivien Leigh. L'histoire m'a plu, j'ai eu envie d'aller plus loin. Alors me voilà avec une édition regroupant deux pièces de Tennessee Williams.
Destination Tchoungking et La montagne est jeune de Han Suyin : J'ai dans ma bibliothèque depuis des temps immémoriaux le très célèbre Multiple splendeur d'elle que je n'ai toujours pas pris le temps de lire. Pourtant, alors que je ne connais pas encore la plume d'Han Suyin, j'ai fondu pour ces deux romans chinois. Etant une fan de la littérature asiatique ou parlant de l'Asie, je me suis laissée séduire. Ils m'ont rappelée un peu ma chère Pearl Buck.

La chaîne d'amour de Daphné du Maurier : Car je veux tout Daphné du Maurier. Ma maman a lu ce roman (traduit de nos jours par L'amour dans l'âme) et elle l'avait adoré.
Voilà! Qui a dit que j'avais craqué??

vendredi 5 mars 2010

" Commençons par deux jeunes filles à un bal "

L'étrange disparition d'Esme Lennox
Maggie O'Farrell

10/18, 2009.

A Edimbourg, un asile ferme ses portes, laissant ses archives et quelques figures oubliées resurgir à la surface du monde. Parmi ces anonymes se trouve Esme, internée depuis plus de soixante ans et oubliée des siens. Une situation intolérable pour Iris qui découvre avec effroi l'existence de cette grand-tante inconnue. Quelles obscures raisons ont pu plonger la jeune Esme, alors âgée de seize ans, dans les abysses de l'isolement ? Quelle souffrance se cache derrière ce visage rêveur, baigné du souvenir d'une enfance douloureuse ? De l'amitié naissante des deux femmes émergent des secrets inavouables ainsi qu'une interrogation commune : peut-on réellement échapper aux fantômes de son passé ?

Au début de ma lecture, je n'ai pu lire qu'une dizaine de pages de ce roman en quelques jours (la vie faisant), mais lorsque j'ai pu m'y plonger réellement, j'ai eu du mal à le lâcher pour aller travailler. Maggie O'Farrell nous offre un petit roman très agréable et sensible. Un roman d'une grande mélancolie, tragique, bouleversant, mais qui n'est jamais voyeur, indélicat ou brusque.

L'étrange disparition d'Esme Lennox raconte l'histoire de deux soeurs que la société, les bonnes moeurs, les "on-dit" vont détruire. Il y a Esme qui se rattache désespérement au passé, qui essaie d'en recoller les morceaux. Il y a Iris qui agit sans vraiment comprendre, ni même chercher à comprendre, mais qui est poussé par un étrange sentiment. Construit sous forme de puzzle et laissant parler plusieurs voix, Maggie O'Farrell crée un récit palpitant que l'on dévore d'un trait. Pourtant, ce n'est pas un roman à "révélation finale". Les réponses viennent progressivement, naturellement, sans exagérer le suspense ou l'attente. On est tenu en haleine, alors que les révélations sont assez évidentes, vite éclairées. Je pense que c'est une volonté de l'auteur. Cela donne plus de crédibilité, de réel à son histoire. Non ce n'est pas une histoire de famille totalement incroyable, il s'agit plutôt d'une tragédie secrète mais belle et bien concrète, vraie. Esme symbolise toutes ces jeunes femmes qui furent internées parce qu'elles gênaient et ne convenaient pas à la bonne société puritaine.
Maggie O'Farrell a une belle écriture, assez simple mais juste. Je trouve que le plus frappant est sa faculté de rendre les dialogues vivants, mais également certaines de ses scènes en les parsemant de petits détails a priori anodins mais qui augmentent l'idée qu'on s'en fait comme des bruits de fond dans le combiné de téléphone, les pattes du chien qui glissent sur le parquet, ....

Un bon petit roman, très prenant, à l'histoire révoltante et nécessaire. Un roman qui chamboule et qui se dévore.

" Ils allaient quitter le port de Bombay. Le bateau vibrait et gémissait sous leurs pieds et une foule s'attardait sur le quai pour agiter drapeaux et bannières. Esme regardait flotter et claquer au vent son mouchoir tenu entre deux doigts. " A qui dis-tu au revoir? lui demanda Kitty. - A personne. " Esme se tourna vers sa mère. Appuyée au bastingage, près d'elle, elle levait une main pour retenir son chapeau. Sa peau avait un aspect tendu, tiré, ses yeux semblait enfoncés dans leurs orbites. Le poignet qui dépassait de sa manche en dentelle était maigre, le bracelet en or de sa montre trop lâche. Esme eut soudain envie de poser la main sur le poignet de sa mère, de toucher cet os, de glisser un doigt entre la peau et les maillons du bracelet-montre. "

(La disparition d'Esme Lennox, 10/18, 2009, p71 et 72)

(Source image : indigoeyes.skynetblogs.be)