vendredi 24 août 2012

Vous avez dit "débrouillarde"?

Aggie change de vie
Malika Ferdjoukh




L'école des loisirs, 2009.


Aggie est la reine de la débrouille. Difficile de faire autrement quand on est orpheline et qu'on ne mange pas tous les jours à sa faim. Avec son ami Orin et son chien Mister Bones, elle a mis au point un numéro pour détrousser les riches passants qui s'aventurent dans les bas quartiers de Boston. C'est d'ailleurs en essayant de voler le portefeuille de Pemberton Rushworth qu'Aggie l'a rencontré. Plutôt que de la conduire à la police, ce détective privé lui fait alors une proposition extraordinaire. Jusqu'à présent, Aggie n'a pas eu beaucoup de chance. Mais cette drôle de rencontre est une occasion inespérée d'échapper à son destin de gamine des rues. Si Aggie suit attentivement les conseils du détective, elle pourra enfin changer de vie. 


Le temps d'une soirée, j'ai laissé de côté Le rêve Botticelli de Sophie Chauveau et j'ai ouvert le court roman de Malika Ferdjoukh, Aggie change de vie
C'est vrai que ce roman est trop bref à mon goût et que j'en aurai aimé plus. Plus de détails sur la vie d'Aggie dans les bas quartiers, plus aussi sur l'éducation que lui donne Pemberton Rushworth. J'aurai aimé, en tant qu'adulte, avoir plus de pages. Mais malgré ça, ce roman est craquant. Je pense l'offrir à beaucoup de jeunes lectrices en herbe autour de moi. Tout comme Miss Charity, j'aurai aimé le lire dans ma jeunesse. On s'attache rapidement à Aggie et cette ambiance mêlant Dickens et Princesse Sarah est une merveille. En 90 pages, j'ai réussi à être bouleversée (Ah! Mister Bones), morte de rire avec les réflexions et le franc parler d'Aggie et émue par Alice et son père. Chapeau Madame Ferdjoukh!
Une très jolie histoire à l'ambiance délicieuse ... Un petit bonbon bien trop rapide à fondre pour moi, mais qui ne le rend que plus précieux. 
Un roman à mettre entre tous les jeunes mains féminines. 


" - Comment as-tu atterri chez les Hume ? interrogea-t-il à brûle-pourpoint.

Elle plissa le front avec un bref arrêt de mastication.
- Comment qu’vous savez que c’est pas eux, mes parents ?
- Je me suis renseigné.
Entre pain, jambon et bouillon, elle raconta :
- Ils m’ont gardée à ma naissance. Ma mère, Ginnie Barrie, était servante chez eux. Ils la faisaient bosser dur. C’est Poodlespring, le laitier, qui m’a raconté. Même enceinte, elle devait laver la maison de haut en bas, les escaliers, la cour, porter les seaux… A l’accouchement, c’elle qui était lessivée ! L’avait plus de forces. C’est c’qu’il m’a raconté, Poodlespring. Alors,elle est morte, juste quand moi j’suis née, elle avait plus d’souffle… "

(Aggie change de vie, M. Ferdjoukh, L'école des loisirs)

(Source image : leslecturesdemarie.free.fr)

samedi 18 août 2012

Tout arrive à point ....

J'ai profité d'une semaine dans la région parisienne pour faire une halte quartier Saint-Michel à Paris ... Pour les habitués, c'est sur cette magnifique place (Aah! La fontaine) que se situe les librairies Gibert Jeune (nommées aussi Le royaume du lecteur compulsif).  
J'ai habité 23 ans dans la région parisienne, j'ai vagabondé plusieurs heures dans les rues de la capitale et pourtant, croyez-le, croyez-le pas, je n'avais JAMAIS mis un pied à Gibert Jeune. Je sais, je sais. Shame on me! Il a fallu attendre que je vive à 850 km de là pour avoir enfin l'idée d'y bouger mon postérieur. 
Autant vous dire que pour moi, ce fut la caverne d'Ali Baba. Je me suis vite dit que c'était beaucoup plus sage de ne pas avoir découvert ce lieu lorsque je vivais à 1 petite heure de lui ... Je pense que ma bibliothèque serait encore plus remplie à l'heure actuelle ... 
Je suis rentrée avec : 


Miss Mackenzie d'Anthony Trollope : A force de lire des critiques dithyrambiques, je n'ai pas résisté. Et la quatrième de couverture donne l'eau à la bouche.

Le temps de l'innonce d'Edith Wharton : Je vous l'ai dit ... Je veux TOUT lire de cette grande plume américaine.

Paola de Vita Sackville-West : Une proche de Virginia Woolf qui me fait de l'oeil depuis plusieurs années déjà. Je commence par un court roman, car tout comme son amie, elle m'intimide un peu.  Le résumé de ce dernier me plaît beaucoup!

jeudi 16 août 2012

Songe un jour d'été


Eté
Edith Wharton

Culte fictions, La découverte, 2006. 

La jeune Charity, recueillie enfant par un avocat du petit village de North Dormer, en Nouvelle-Angleterre, s'est résignée à une vie étriquée, au pied des montagnes, rythmée par les heures qu'elle passe à dépoussiérer et ordonner la minuscule bibliothèque municipale. Un jour de début d'été, elle voit apparaître dans ce bout du monde un jeune architecte, Lucius Harney, venu dessiner des croquis d'habitats traditionnels de la région. Très vite, elle s'éprend de lui... Admirablement construit, ce court roman des espoirs et des cruautés de l'amour est également une description impitoyable de l'oppression exercée parla "normalité" sociale contre les aspirations de l'individu. Été, quoique fort chaste, traite avec franchise de la sexualité féminine, vue comme force vitale puissante. Un roman très en avance sur son temps qui, lorsqu'il fut publié en 1917, créa un véritable scandale. On alla jusqu'à le comparer à Madame Bovary, qui était précisément le livre préféré d'Edith Wharton.


Voici ma troisième lecture d'un roman d'Edith Wharton qui décidément possède un incroyable talent.
Eté est un petit texte parfait en cette saison lourde où l'on peut flâner, épuisé par la chaleur ... 
Comme toujours l'été, je n'ai que très peu de temps pour moi, mais ce fut un délice de partager ces instants volés avec Miss Wharton. Etrangement, je n'ai pas trouvé l'héroïne particulièrement attachante. Pour moi qui aime m'identifier aux personnages, vivre à travers eux et ressentir leurs émotions, ce ne fut pas le cas ici, mais je n'ai pas trouvé cela gênant. J'ai lu l'histoire de Charity, j'ai écouté ses doutes et ses espoirs de façon détachée, mais enthousiaste et émue. J'ai davantage aimé l'atmosphère lourde de la saison d'été, l'ambiance étriquée du petit village de North Dormer, les angoissants silences de Mr Royal, les paysages, les parfums, les couleurs. J'ai retrouvé le profond pessimiste (disons-le) de Chez les heureux du monde et d'Ethan Frome, bien qu'Eté soit nettement moins déprimant. C'est étrange d'ailleurs d'aimer un auteur qui voit beaucoup de choses en noir, assez fataliste, très dur avec la société et avec ses semblables. Mais c'est qu'Edith Wharton a une écriture magnifique, un regard éclairé, une conscience de la beauté des choses comme de leur noirceur. Edith Wharton ne ment pas. J'aime ces histoires, sa sensibilité et sa passion. Alors oui, Charity, bien que forte et émouvante, n'est pas particulièrement attachante, mais son histoire nous montre l'impasse dans laquelle les femmes pouvaient se trouver à l'époque uniquement parce qu'elles avaient écouté leur coeur, comment la société pouvait les juger et les chasser parce qu'elles n'avaient pas fait ce que l'on attendait d'elles. C'est à dire, être là et attendre. Et c'est ici que se situe le problème, Charity ose sortir des rails et tombe amoureuse. Lors d'une sublime scène un soir de 4 juillet dans la lumière d'un feu d'artifice et dans la foule bruyante, elle se laisse aller à la passion qui jusque là ne faisait que sommeiller. Malheureusement pour elle, le gentil Harney, élu de son coeur, n'a pas sa volonté, sa force, son charisme. Le prince charmant est en réalité un simple laquais. 
La fin d'Eté est à la fois une belle fin pleine d'espoir mais aussi une profonde injustice. Charity n'avait-elle aucune autre solution que celle-là? Doit-on ignorer les élans de son coeur, ses aspirations profondes pour se sauver aux yeux de la société? Certes, Mr Royal n'est pas, au final, un mauvais bougre, mais il y a quelque chose de malsain dans leur situation et l'on ne peut s'empêcher de ressentir un profond malaise en refermant ce roman. Tout comme lorsque l'on referme Chez les heureux du monde et surtout Ethan Frome
Une chose est sûre, je n'en ai décidément pas fini avec cette enchanteresse d'Edith Wharton. Je compte bien dévorer encore plusieurs lignes, plusieurs pages de cette plume magnifique et profondément humaine

« Le soir de sa rencontre avec le cousin de Miss Hatchard, couchée dans son petit lit de fer, les bras croisés sous sa tête, elle continuait à penser à lui. Sans doute avait-il l'intention de séjourner quelque temps à North Dormer, puisqu'il lui avait dit qu'il voulait étudier les vieilles maisons des environs. Elle ne saisissait pas, au juste, ce qu'il voulait dire par là, puisque toutes les maisons du pays étaient vieilles et lui semblaient également laides et tristes ; mais elle comprit qu'il avait besoin de se documenter, et elle prit aussitôt la résolution de rechercher dès le lendemain matin le volume qu'elle n'avait pas pu trouver, ainsi que tous ceux qui lui sembleraient se rapporter au même sujet. Jamais son ignorance de la vie et de la littérature n'avait tant pesé sur elle que maintenant alors qu'elle repassait en esprit leur brève conversation... »
(Eté, Edith Wharton, La découverte, 2006)


(Source image : giverny.org. Le bassin de Miller)

dimanche 5 août 2012

" Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi! "

 Le bossu
Paul Féval

GF Flammarion, 1997.

Qui est le Bossu, cet être contrefait que l'on croise dans le Paris populaire comme à la cour du Régent ? Quels liens étranges l'unissent au chevalier de Lagardère, fine lame incomparable, cœur généreux, idole des dames et du petit peuple ? Les bonnes gens s' étonnent de voir l'un rendre si souvent à l'autre, sans que jamais on ne les voie ensemble. Pour accomplir son œuvre de justicier, pour venger Philippe de Nevers assassiné dix-huit ans plus tôt par le ténébreux prince de Gonzague, le beau Lagardère ne recule devant aucune audace.
(Pour ceux qui ne connaissent pas cette si célèbre histoire, ne lisez pas la suite de la 4ème de couverture de la présente édition si vous l'avez un jour entre les mains ... Je l'ai ici raccourcie).

Oui, je sais le titre de mon billet est facile! Mais cette phrase est si grandiose et fait tellement frissonner lorsque Henri de Lagardère la prononce dans les gorges de Caylus que je ne pouvais pas ne pas la mettre. C'est tout!
Autant vous dire que j'ai passé les quelques semaines qui viennent de s'écouler en bien bonne compagnie (et pas que grâce à Lagardère, mauvaises langues! Le vif et pétillant bossu y est pour quelque chose aussi). Je travaille beaucoup depuis le début du mois de juillet, je n'ai malheureusement que très peu de temps pour bouquiner (ce qui explique ma lenteur à lire Le bossu), mais ce fut chaque soir un régal d'ouvrir ce bouillonnant, ce foisonnant roman de Paul Féval. 
Je connais l'histoire du Bossu comme beaucoup par les adaptations cinématographiques. Deux d'entre elles, pour être précise. Celle avec Jean Marais et celle avec Daniel Auteuil. Cette histoire me touchait beaucoup d'abord enfant puis adolescente où j'appris qu'il s'agissait à la base d'un roman. Il a fallu le swap Cape et épée (d'il y a quelques temps) pour que ce roman tombe enfin entre mes mains (le 1er qui me dit que j'ai mis un temps infini à l'ouvrir sera obligé de disserter sur le dernier roman de Marc Lévy ... non mais!). Sur le coup, j'ai douté : "Ma vieille, ouvrir un pavé de  800 pages écrit petit, ce n'est peut-être pas judicieux sachant que tu n'auras qu'une pauvre demi-heure au plus de lecture chaque soir et que tu seras dans un état de coma avancé ... ". Mais au bout de 3 pages j'étais piégée. Je suis tombée sous le charme de cette plume si proche de mon cher Dumas, une plume drôle, ironique, émouvante, énergique, ingénieuse ... Dumas reste Dumas, il est indétrônable, mais franchement, Paul Féval n'est pas loin. J'ai beaucoup ri (Aah! Passepoil et Cocardasse), j'ai été émue aussi ... Je suis passée par plusieurs émotions. J'ai cru à cette belle histoire d'amitié. Ce lien si soudain, si pur, si spontané entre Philippe de Nevers et Henri de Lagardère ainsi que le serment de ce dernier m'ont tirée les larmes aux yeux : Oui, s'écria t-il, voici la fille de Nevers! Viens donc la chercher derrière mon épée, assassin! toi qui as commandé le meurtre, toi qui l'as achevé lâchement par-derrière! Qui que tu sois, ta main gardera ma marque. Je te reconnaîtrai. Et, quand il sera temps, si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi! " (p138)
Henri de Lagardère est un héros de roman comme on les aime. Courageux, beau, combattant hors pair, fidèle, ... Il a toutes les qualités que l'on peut rechercher chez un damoiseau. Trop parfait? Non. Le génie de Féval le rend également profondément humain. Oui, Henri de Lagardère a des défauts, il est faillible, sensible, méfiant, un peu névrosé et disons-le un brin rancunier, mais il n'en est que plus touchant : "J'arrivais confiant, heureux, plein d'espérance. Cette parole m'a glacé le coeur, madame. Sans cette parole, votre fille serait déjà dans vos bras. Quoi! s'interrompit-il avec une chaleur nouvelle, cette pensée est venue la première de toutes! Avant même d'avoir vu votre fille, votre unique enfant, l'orgueil parlait déjà plus haut en vous que l'amour! La grande dame me montrait son écusson quand je cherchais le coeur de la mère! Je vous le dis, j'ai peur; parce que je ne suis pas femme, moi, madame, mais parce que je parce que je comprends autrement l'amour des mères, parce que si l'on me disait : "Votre fille est là; votre fille, l'enfant unique de l'homme que vous avez adoré, elle va mettre son front dans votre sein, vos larmes de joies vont se confondre ... " si l'on me disait cela, madame, il me semble que je n'aurais qu'une pensée, une seule, qui me rendrait ivre et folle, embrasser, embrasser mon enfant! " (p475)
Cette histoire, vous vous en doutez, est bien plus riche que ce que les adaptations cinématographiques nous ont offerts. En 800 pages, Paul Féval a de quoi raconter. Des personnages très importants apparaissent (je pense notamment à Dona Cruz), des personnalités simplifiées par les films sont bien plus complexes ici (la veuve de Nevers en est l'exemple le plus flagrant. Sans compter Gonzague qui n'est qu'un agneau dans les adaptations comparé au loup du roman), ... Mais les films rendent bien l'ambiance, l'intrigue principale et l'humour du roman. Si vous aviez aimé regarder Le bossu, vous adorerez le lireC'est passionnant, c'est envoûtant. On se bat à l'épée (et on gagne à chaque fois vu que l'on connaît la botte de Nevers), on aime le bienfaiteur d'Aurore (non, je ne me répète pas!), on tremble devant l'esprit machiavélique de Gonzague (quel vilain celui-là!), ... Bref! On referme le livre toujours avec regret!
La structure même du roman le rend agréable à lire. Il est composé de deux parties : Le petit parisien et Lagardère!. Celles-ci sont divisées chacune en trois temps, redivisés eux-même en plusieurs petits chapitres (soixante-deux en tout). Ce découpage rend le récit énergique, vivant, jamais ennuyant. 800 pages qui se dévorent. 
Je ne peux que vous conseiller mille fois d'ouvrir ce texte plein de charme ... Un GRAND roman de cape et d'épée, mais aussi un GRAND roman d'amitié, de loyauté, de cruauté, de pouvoir, d'amour, ... Un GRAND roman, quoi!


Le fils de Paul Féval (Paul Féval fils ... original!) a écrit plusieurs suites au texte de son père. Pour cela, il a modifié la fin écrite par son père, fin qui n’amenait naturellement pas de suite. Peut-être que les romans écrits par Paul Féval fils sont passionnants, mais en ce qui me concerne l'histoire écrite par Paul Féval père est parfaite comme cela. Je n'ai ni l'envie, ni la curiosité de lire les suites. Il n'y a pas d'autres fins que celle écrite par Paul Féval pour moi.

" Un nom, une bosse, deux fardeaux qui n'écrasent que les pauvres d'esprits! Je suis un trop petit personnage pour être comparé à un financier d'importance comme M. Oriol. Si son nom l'écrase, tant pis pour lui; ma bosse ne me gêne pas. Le maréchal de Luxembourg est bossu! L'ennemi a t-il vu son dos à la bataille de Nerwinde? Le héros des comédies napolitaines, l'homme invincible à qui personne ne résiste, Pulcinella, est bossu par derrière et par devant. Tyrtée était boiteux et bossu; bossu et boiteux était Vulcain, le forgeron de la foudre; Esope dont vous me donnez le nom glorieux, avait sa bosse, qui était sa sagesse. La bosse du géant Atlas était le monde. Sans placer la mienne au même niveau que toutes ces illustres bosses, je dis qu'elle vaut, au cours du jour, cinquante mille écus de rente. Que serais-je sans elle? J'y tiens. Elle est d'or! "
(Le bossu, GF Flammarion, 1997, p557)

(Source image : bibliothèque nationale de France)