mercredi 30 avril 2014

Macaron à la rose

Sous le charme de Lillian Dawes
Katherine Mosby

Folio, 2010.


«Il y a presque toujours dans la vie un moment clé, un point divisant le temps entre un avant et un après – un accident ou une histoire d'amour, un voyage ou peut-être un décès...» 
Ainsi commence le récit que fait Gabriel, dix-sept ans, de l'été qui changea le cours de sa vie. Renvoyé du pensionnat, il s'installe à Manhattan chez son frère Spencer, qui a renoncé à la carrière diplomatique pour la bohème littéraire. Enivré par sa liberté toute neuve, Gabriel goûte aux plaisirs de la ville et croise le chemin de Lillian Dawes. Artiste? Aventurière? Espionne? Cette jeune femme, indépendante et mystérieuse, est de celles qui enflamment l'imagination des hommes. Ni Spencer ni Gabriel ne sortent indemnes de cette rencontre... 
Un très beau roman d'apprentissage dans le New York des années 1950.



Je viens de passer quelques jours bien agréables avec ce roman au charme fou. J'avoue que je n'attendais rien de particulier. Ne connaissant ni l'auteur, ni réellement l'intrigue, je me suis laissée guider. Au bout de quelques pages seulement, j'ai été happée par l'atmosphère. Si je devais retenir une seule chose de ce roman, c'est ça. L'ambiance du roman de Katherine Mosby a un charme incroyable. On s'y sent bien, on s'y love, on s'y installe. Sous le charme de Lillian Mosby, c'est les Etats-Unis des années 50, New-York de l'après guerre et ses envies de liberté et d’excès. J'y ai retrouvé tout ce que j'aime dans les romans classiques américains. On rentre dans une bulle, un univers. L'immersion fut pour moi totale. Mais les qualités de ce roman ne s'arrêtent pas là. L'écriture de Katherine Mosby est quant à elle très fine et juste. L'ensemble est fluide et agréable à lire. Ce n'est pas surfait ou pédant. Elle n'est pas dans l'imitation (vu le sujet assez proche de celui de Capote, ça aurait pu arriver), elle reste dans le naturel, le spontané et l'élégance. L'écriture est un reflet du personnage de Lillian Dawes, fraîche, joyeuse, simple mais cachant une certaine complexité et une grande richesse. Les réflexions de Lillian ont réussi à me transporter. Le roman porte bien son titre, on ne peut pas ne pas tomber sous le charme de cette femme. J'ai adoré les scènes se déroulant chez Clayton, une connaissance des deux personnages principaux. A côté des richesses, des faux semblants, des manières et du pédantisme (très proches des fêtes de Gatzby), il y a Lillian et sa joie de vivre. 
Bien sûr, auprès de Lillian, il y a Spencer et Gabriel. Deux frères que j'ai tout de suite aimé. Leur relation est très touchante et humaine. J'ai été émue par leur complicité, leur respect mutuel, leur intimité. J'ai aimé leur quotidien et leurs rituels. J'aurai aimé vivre dans leur appartement au milieu des romans de Spencer (comment ne pas l'aimer ce tendre romantique : " C'est vrai qu'il avait toujours aimé la compagnie des livres et qu'il était capable de quitter un court de tennis à la recherche d'une balle perdue, pour se retrouver dix minutes plus tard plongé dans la lecture d'une recueil de poésie oublié sur le gazon ou dans la contemplation des carpes au bord de l'étang à nénuphars. " p 30). Le trio Gabriel/Spencer/Lillian fonctionne bien, je l'ai trouvé assez cohérent ... même si j'aurai peut-être aimé davantage de pages et de détails. Leur triangle amoureux m'a rappelé (tiens encore une comparaison avec un grand roman américain) la force des relations humaines dans Le choix de Sophie
C'est une très belle surprise que ce roman et je suis ravie de découvrir de si jolie perle dans la littérature contemporaine. Sous le charme de Lillian Dawes m'a mis un véritable baume au cœur. Chaque moment de lecture ressemblait à un bain moussant réconfortant et apaisant. Je m'y suis plongée avec un bonheur simple et pur. 
Je ne peux que vous conseillez de le lire. 

" Les gens ne sont pas des noix qu'on ouvre d'un coup. Apprendre à connaître quelqu'un est un plaisir à savourer, comme du chocolat. On ne peut pas l'avaler tout rond, il faut le laisser fondre lentement afin que le palais en goûte chaque infime nuance."
(Sous le charme de Lillian Dawes, K. Mosby, Folio, 2010, p265)


(Source image : lecoffreaimages.centerblog.com)

samedi 26 avril 2014

Roule! Et surtout, tais-toi!

Le général du roi
Daphné du Maurier
Challenge Myself 2014

Livre de poche, 1969.

Quel rôle reste-t-il à la femme quand les hommes sont en guerre ? C'est à cette question, vieille comme Homère. que répond ce roman violemment secoué par l'Histoire (nous sommes dans l'Angleterre du XVIIe siècle, en pleine guerre civile). Un livre publié en 1945 et composé dans l'urgence... au sortir d'une tout autre guerre. Soit une sorte de récit de cape et d'épée subtilement dévoyé... L'héroïne en est une femme, et les hommes - même quand ils sont dans le " bon camp " - sont loin d'y avoir le beau rôle. Mieux (ou pis), la jeune femme en question, qui cultive un goût de la liberté ignorant toute entrave, se trouve dès le début du livre et jusqu'à la fin de tout condamnée à l'immobilité d'un fauteuil d'infirme... Une troublante méditation sur la fidélité et l'honneur, qui poussés à leur extrême n'hésitent pas à courir le plus beau risque : celui de l'indignité. L'un des plus grands Du Maurier.
(Quatrième de couverture de l'édition Libretto, Phébus)

Première lecture de mon challenge Myself ... et quelle lecture! Je sais que Daphné du Maurier est une valeur sûre, mais elle arrive encore à m'épater. Chaque roman possède un souffle puissant et unique.
C'est la première fois que je lis Daphné du Maurier dans un genre historique. Je ne connaissais absolument rien des révolutions anglaises et j'ai appris beaucoup en lisant son roman. Je suis allée fouiller sur le net pour trouver des informations et grâce à elle, j'ai découvert une période de l'Histoire anglaise qui m'était totalement inconnue. J'ai toujours aimé les romans historiques et retrouver Daphné du Maurier dans ce genre m'a ravie. Difficile de souffler avec ce récit fougueux et passionné. Les pages se tournent et s'enchaînent sans laisser de répit au lecteur. 
On retrouve les thèmes chers à Du Maurier. Le général du roi nous plonge dans des péripéties addictives,  des mystères attendent d'être révélés, on loge dans une demeure pleine de secrets, on croise des personnages troubles nous laissant un sentiment mitigé, ami ou ennemi? 
J'ai adoré le personnage de Honor. Elle refuse que l'on s’apitoie sur son sort et parle très peu de son accident et de son infirmité. Elle est fière, digne, combative. On ne peut que, je pense, se sentir admirative et respectueuse devant une telle personnalité. Nous vivons l'histoire entièrement à travers ses yeux, ce qui la rend proche, intime. Elle nous livre ses désirs les plus secrets, ses envies de femme, ses frustrations et ses doutes. Daphné du Maurier sait créer comme personne ces personnages féminins humains, forts et indépendants, même si elles ne le sont pas de corps, tout comme Honor, elles restent indépendantes d'esprit et de volonté.  
Richard est un peu un Rhett Butler anglais. Assez antipathique, imbu de lui-même, égoïste et prétentieux, il m'a énervé assez régulièrement durant ma lecture voire même choqué. Mais étrangement, tout comme Honor, on ne peut pas ne pas être un brin séduite. Que voulez-vous? Esprit tordu de femme. J'ai compris ce sentiment que ressent Honor. Elle est consciente de la violence et des terribles défauts du caractère de Richard, mais elle l'aime, c'est ainsi. Les moments où elle sent la volupté l'envahir sans pouvoir la combattre sont très parlant. D'ailleurs, j'ai trouvé leur relation extrêmement sensuelle ... et physique. Pourtant Honor est infirme et ses désirs sont emprisonnés dans son corps immobile. Il y a une forte tension sensuelle entre Honor et Richard. 
Pour les autres personnages, je me suis (je l'avoue) un peu mêlée les pinceaux par moment, certains membres de la même famille portant des prénoms identiques et Honor ayant un assez grand nombre de frères et soeurs. Mais ça n'entrave pas la lecture et la fluidité de l'ensemble. Les personnages les plus marquants sont, par leur prestance et leur personnalité, bien identifiables. C'est le cas, entre autre, de Gartred, la soeur de Richard. J'ai adoré ce personnage. Pour le coup, elle serait une sorte de Scarlett O'Hara ... en moins frivole et superficielle. Elle est prête à tout pour son confort et sa réussite, use allègrement de ses charmes, ne connaît que très peu la pitié et la compassion. Un personnage complexe que j'ai beaucoup apprécié. J'ai eu du mal à détester ce personnage de "méchant" pourtant terrifiant. 
Comme tous les autres romans de Du Maurier que j'ai lu, Le général du roi est à découvrir. C'est un roman très fort qui soulève beaucoup de questions sur la place de la femme dans la société et son rôle dans l'Histoire ... surtout si la femme en question est infirme et refuse de rester cloîtrer dans sa chambre en laissant les événements glisser sur elle. Encore un roman nous prouvant que l'horizon des femmes était limité à ce que leurs yeux pouvaient voir et que tout leur avenir ne dépendait que des hommes, maris, frères, pères. Révoltant!

" Je les entendis rire sous ma fenêtre, puis monter sur leurs chevaux et galoper dans l'avenue. J'étais sur mon lit, contemplant le plafond. Il me semblait que mon poirier, si longtemps d'un blanc pur, éblouissant, avait perdu un peu de son éclat, qu'il était redevenu, après tout, un poirier ordinaire; mais cette idées qui 'eût jetée plus tôt dans un abîme de tourments, je pouvais, à trente-quatre ans, la supporter avec sérénité. "
(Le général du roi, Daphné du Maurier, Livre de poche, 1969, p 240).

(Source image : Jeune fille lisant, Franz Eylb. Linternaute.com)

dimanche 20 avril 2014

Sortie culturelle ... et familiale!


Eva Lindström

Ce week-end, Romanzo et moi avons emmené Romanzino au cinéma pour la première fois (et oui, quand on a 3 ans, on est grand). 
Nous sommes allés voir Les amis animaux de l'illustratrice suédoise Eva Lindström. 


Il s'agit de 3 court-métrages, le tout durant 35 mn. 
- Une journée chez les oiseaux : Deux jeunes oiseaux, munis de leur filet à papillons, partent à la chasse aux insectes. Ils s’éloignent de la maison et se perdent dans les bois. La nuit tombe, ils ont un peu peur...
- Je fugue : Un agneau s’ennuie dans sa prairie et franchit la clôture pour fuguer. Hébergé chez Monsieur Martre, il se demande si quelqu’un va finir par s’inquiéter de son absence.
- Mon ami Louis : Louis le hibou se lie d’amitié avec une jeune femme avant de rencontrer Jérôme, un autre hibou pas très recommandable.
A partir de 2 ans

La veille de la séance, petit tour à la médiathèque pour emprunter deux des albums d'Eva Lindström, histoire de mettre Romanzino dans l'ambiance. 
A dire vrai, je ne suis pas spécialement fan du coup de crayon de cette illustratrice. Enfin, plus précisément, je trouve l'ambiance agréable, les paysages à l'aquarelle sont assez jolis, mais les personnages sont peu expressifs et n'arrivent pas à me séduire. Par contre, le texte est toujours un régal. Un humour fin, un brin de poésie et d'originalité, c'est un bonheur de lire à voix haute les histoires uniques d'Eva Lindström. Dans les bois, nous parle du rythme des saisons de façon très belle. Le temps change, la nature évolue ... parfois bien malgré nous. On ne peut que l'observer et attendre. Quant à J'aime pas l'eau, un petit garçon ne se mêle pas à ses camarades trop heureux de se baigner lorsqu'il fait chaud. Lui qui déteste l'eau préfère regardait de loin. Mais on peut être différent et très épanoui comme nous le prouve Eva Lindström. 
La nature est prédominante dans ses histoires. Forêt luxuriante, animaux en vadrouille, contemplation de Dame Nature, ... ce sujet est toujours présent et traité avec talent. 


Son court-métrage Les amis animaux ressemble un peu à ses albums (normal, vous me direz!). Une ambiance un peu mélancolique, un trait assez triste (Papa Romanzo n'a pas trop accroché d'ailleurs, cette atmosphère un peu sombre n'a pas su le séduire), mais une certaine délicatesse se dégage de l'ensemble. Les deux premières histoires abordent le thème de l'autonomie et de la liberté, l'envie de prendre son envol et de partir à la découverte du monde. Mais très vite, on apprécie de retrouver le cocon familial et l'assurance qu'on est aimé et protégé. La dernière histoire, plus "adulte" parle d'amitié et de solitude. Plus complexe que les deux premières, plus triste aussi, pourtant c'est celle que j'ai préféré. Beaucoup de symboles et de jolies images. 


Un beau moment en famille. Je vous conseille ce court-métrage, non sans défauts, mais doux et très profond qui ouvre plusieurs sujets de discussion.

Je vous rappelle en même temps que le festival du film d'animation commence dans 1 semaine et que de nombreux court ou longs-métrages vont être projetés dans vos salles ...

La bande annonce des Amis animaux


(source images : télérama.fr)

dimanche 6 avril 2014

Les murs n'ont pas que des oreilles ... Ils ont des bouches aussi!

Du domaine des murmures
Carole Martinez

 Folio, 2013.


En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire «oui» : elle veut faire respecter son vœu de s'offrir à Dieu, contre la décision de son père, le châtelain régnant sur le domaine des Murmures. La jeune femme est emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe... 
Loin de gagner la solitude à laquelle elle aspirait, Esclarmonde se retrouve au carrefour des vivants et des morts. Depuis son réduit, elle soufflera sa volonté sur le fief de son père et ce souffle l'entraînera jusqu'en Terre sainte. 
Carole Martinez donne ici libre cours à la puissance poétique de son imagination et nous fait vivre une expérience à la fois mystique et charnelle, à la lisière du songe. Elle nous emporte dans son univers si singulier, rêveur et cruel, plein d'une sensualité prenante.

Le coeur cousu m'avait bouleversée il y a quelques années. Même si, je dois bien l'avouer, aujourd'hui, il ne me reste que peu de choses de ce roman, ce fut tout de même une belle découverte et un agréable moment de lecture.
J'ai découvert avec grand plaisir le curieux Du domaine des murmures offert par ma chère Lou
On y retrouve tout ce qui fait le talent de Carole Martinez, l'art du conte, le merveilleux, un "réalisme magique" à la manière de Gabriel Garcia Marquez. C'est ce que j'aime chez cette femme. Elle nous susurre des histoires fabuleuses, des légendes envoûtantes, elle nous prend la main et nous emmène dans son monde. Alors, c'est vrai que la magie n'opère pas longtemps et que j'ai vite oublié l'intrigue de son premier roman. Mais j'ai gardé des sensations, des émotions, des images. Du domaine des murmures me laissera sûrement le même sentiment dans quelques temps. 
Les chapitres se dévorent, l'histoire d'Esclarmonde est touchante, tragique, passionnante. J'ai été émue par le destin de cette jeune fille et du peu de choix qui s'offrait à elle (un écho intéressant à ma précédente lecture traitant aussi de la condition féminine). Je ne dévoilerai pas tous les secrets de ce roman, mais je peux juste dire que certains passages ont su toucher mon cœur de façon très sensible. Et je ne serais sûrement pas la seule en tant que femme et en tant que mère dans ce cas. 
J'aime les romans se passant au Moyen âge et j'ai apprécié vivre dans ce monde plein de croyances et de superstitions. La domination des hommes et de leurs envies, le poids de la religion, la terreur des hérésies, ... bien que ce roman soit court, j'ai trouvé ces sujets assez bien traités et de façon fine et subtile. 
Un roman facile et simple à lire avec une pointe d'originalité dans l'écriture, pleine de poésie et de merveilleux. Un contexte historique intéressant malgré un nombre de pages réduit qui ne permet pas de fouiller le sujet à fond. Une héroïne atypique et humaine. Un message profond et émouvant. 
Un joli roman-détente qui se lit vite. A découvrir!

" Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l'oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n'imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi ".
(Du domaine des murmures, C. Martinez, Folio, 2013)


(Source image : Ophelia de William Waterhouse. artsrtlettres.ing.com)

jeudi 3 avril 2014

Le cercle ...

La séquestrée
C. Perkins Gilman

Phébus, Libretto, 2008. 

Tombée en dépression, une jeune mère se soumet à une cure de repos d'un genre radical, imposée par son médecin de mari. Censée reprendre goût à son quotidien réglé de femme au foyer par ce qui s'apparente à une séquestration pure et simple, elle ne réagit cependant pas comme son époux l'avait prévu ...

En général, il me faut plusieurs pages pour rentrer pleinement dans un texte. J'aime les nouvelles mais elles sont parfois assez frustrantes. Le nombre de pages étant réduit, j'ai la sensation d'être coupée dans mon élan. Certains auteurs cependant, par leur génie et leur talent de conteur, arrivent à me plonger dans leurs courtes histoires dès les premiers mots. C'est entre autre le cas de Zweig. Mais il y en a d'autres. Charlotte Perkins Gilman a également réussi ce pari. Sa nouvelle m'a enveloppée dès les premiers mots. 
Une ambiance étouffante, très particulière et angoissante, une plume extrêmement subtile et précise, une histoire glaçante et effrayante. Je suis conquise. Je crois ne jamais avoir lu quelque chose comme ça. Entre un réalisme poignant et une atmosphère fantastique et effrayante, on parcourt ce texte les mains moites et le cœur battant. 
Charlotte P. Gilman dénonce ici le manque total de choix et de liberté pour les femmes. Mariage obligatoire, maternité imposée, rôle de femme au foyer qu'elles doivent absolument tenir, ... bref, un horizon très limité qu'il est difficile de fuir. L'héroïne sait que l'écriture serait un remède à sa neurasthénie, une thérapie efficace et douce. Mais on lui interdit. Son mari, attentif dans les premières pages puis tortionnaire, ne désire qu'avoir une femme qui tient son rôle convenablement et surtout cesse d'avoir des envies d'écriture et de liberté. Ce repos forcé finira progressivement par faire perdre la raison à l'héroïne. Sa folie se matérialisera dans une obsession pour le papier peint jaune de sa chambre. Elle y voit des femmes enfermées, prisonnières, tout comme elle, obligées de ramper, de se courber, dans l'impossibilité de s'exprimer et de marcher la tête haute. Cette vision des femmes effrayées rampant sur le sol m'a tout simplement terrorisée. Je ne sais pas si vous connaissez le film japonais The ring , mais la scène finale du fantôme rampant de façon totalement déstructurée m'a hantée durant toute la lecture de ce texte. Bbbrrr!
Si vous lisez cette nouvelle, il faut absolument lire la postface passionnante de Diane de Margerie. Elle nous parle de l'auteur et de sa vie, très proche de celle de l'héroïne de La séquestrée. Mais également de cas connus de dépression féminine (celles d'Alice James et d'Edith Wharton), de leur traitement et de leurs abus. 
En peu de pages, Charlotte Perkins Gilman offre un véritable plaidoyer pour la liberté féminine, la liberté de choix, d'expression, de création. Un texte court mais d'une force et d'une portée tout simplement incroyables. Une nouvelle dérangeante, qui hante, chamboule, bouscule. A découvrir absolument!

"Parvenue dans les zones lumineuses, la femme s'arrête, mais dans les régions obscures elle s'agrippe aux barreaux qu'elle secoue avec violence. Et pendant tout ce temps, ce qu'elle voudrait, c'est traverser le papier peint. Mais personne ne peut échapper à ce motif tant il vous étrangle. C'est pourquoi il possède une multitude de têtes. Car si jamais elle réussissait à s'évader, ce serait pour que le motif l'étrangle et la renverse - voilà la raison de toutes ces têtes aux yeux révulsés !"
(La séquestrée, C P Gilman, Phébus, Libretto, 2008)

(Source image : La malade de Valloton. reproarte.com)

mardi 1 avril 2014

Bon bah ça y est! C'est fait!

Guerre et paix
Léon Tolstoï


Folio, 2002.

1805 à Moscou, en ces temps de paix fragile, les Bolkonsky, les Rostov et les Bézoukhov constituent les personnages principaux d'une chronique familiale. Une fresque sociale où l'aristocratie, de Moscou à Saint-Pétersbourg, entre grandeur et misérabilisme, se prend au jeu de l'ambition sociale, des mesquineries, des premiers émois.
1812, la guerre éclate et peu à peu les personnages imaginaires évoluent au sein même des événements historiques.
(Amazon.fr)

Avant de commencer cet article, je tiens à remercier Eliza qui, en organisant cette lecture commune de Guerre et paix, a crée un bel échange autour de ce monument de la littérature russe. Un grand merci!
Guerre et paix! Cela fait des années que je tourne autour sans jamais me décider. J'ai lu Anna Karenine au tout début de mes années fac' et j'en garde un souvenir très fort. Cette histoire me hante encore. Guerre et paix quant à lui m'effrayait. 2000 pages.! Je crois que je n'ai jamais lu un roman de cette épaisseur. Eliza a motivé les troupes et nous nous sommes lancés dans la lecture de cet ÉNORME roman. 
Je suis très fière de moi (je tiens à le dire). Non pas d'avoir réussi à lire un pavé (tout de même, ce n'est pas le premier), mais de l'avoir lu en 3 semaines. 
Mon verdict alors? La réponse est oui, j'ai aimé. J'ai adoré plonger dans ce monde, cet univers que nous offre Monsieur Léon. Je mentirai en disant que Tolstoï m'a tenu en haleine durant 2000 pages. Oui, c'est vrai, certains passages m'ont paru un brin longs. Certaines parenthèses historiques étaient parfois difficiles ... surtout en fin de soirée. Mais ce n'est rien en comparaison de toutes les pages de pur bonheur qu'il nous offre en retour. Guerre et paix est un roman profondément humain. Aucun autre adjectif ne me paraît aussi bien coller. J'aime les personnages vrais, ceux qui ne sont ni lisses ni parfaits. Guerre et paix nous offre des personnages qui souffrent, se trompent, réussissent, trébuchent, font les mauvais choix, pardonnent, aiment. C'est un véritable monde parallèle que Tolstoï a crée
Parmi l'impressionnante galerie de personnages de Guerre et paix, certaines figures sont plus particulièrement touchantes. Bien sûr, il y a André et Natacha. Je ne savais rien de leur histoire d'amour et je m'imaginais quelque chose à la Vronski et à la Anna, fougueux, passionné, excessif. J'ai eu la surprise de découvrir une histoire assez simple. Leur amour est très beau, car là aussi, ça sonne juste et vrai. André est un personnage sublime et restera à jamais le plus important du roman pour moi. Son évolution, sa retenue, son charisme. Un des plus beaux héros de la littérature. Quant à Natacha, j'ai aimé ses faiblesses, ses erreurs, son tempérament lunatique et son cœur léger. J'ai été émue également par Marie et Pierre. La dure Marie, pas toujours tendre dans ses jugements, mais généreuse, courageuse et fière. Et Pierre! Sa naïveté lors des premières pages est délicieuse et touchante. Puis on suit ses réflexions, ses interrogations (qui m'ont beaucoup rappelées celles de Lévine d'Anna Karenine). On le voit mûrir, se trouver, s'affirmer. Tous les personnages ont leur histoire, leurs choix, leurs doutes. Ils évoluent tous, soit à la suite d'une peine de cœur, soit à cause des tourments de la guerre, mais chacun d'entre eux possède son propre cheminement. Ce qui rend ce roman d'autant plus vivant et puissant.
L'intrigue est passionnante, même si elle est coupée par des passages plus ardus, mais pas moins intéressants. Je n'imagine même pas ce qu'a du être l’écriture de ce roman pour Tolstoï. A part devenir ermite et schizophrène pendant des années, je ne vois pas comment il a pu mener une vie normale parallèlement à la rédaction de Guerre et paix. C'est impossible de résumer ce roman et il faudrait plusieurs vies pour l'analyser. Il y aurait mille choses à dire pour chaque chapitre, chaque événement, chaque page. C'est très compliqué de parler de Guerre et paix, je me demande même si c'est autorisé ... Dans mon cas, quand on voit le peu de profondeur de mon article, on est en droit de s'interroger. Mais que voulez-vous? Je suis innocente. Ce n'est pas moi. C'est la faute à Tolstoï
Je ne sais pas comment conclure. J'ai oublié cent cinquante choses ... au moins ... et le peu que j'ai dit est assez insipide. Les autres en parleront mieux que moi. Je finirai juste en disant qu'il faut lire Guerre et paix, passer au-delà de ses craintes, oublier les 2000 pages, ne pas se laisser décourager par certains passages militaires ou métaphysiques et se plonger dans ce roman passionnant, bouillant, fascinant.

Sur ce, je file voir l'adaptation de 1956.

" Les yeux de Marie étaient grands, profonds, et avaient parfois des éclairs qui leur donnaient une beauté surnaturelle, en transformant complètement sa figure, qu’ils éclairaient de leur douce et tendre lumière. Mais la princesse ne se rendait pas compte elle-même de l’expression que ses yeux prenaient chaque fois qu’elle s’oubliait en pensant aux autres, et l’impitoyable psyché continuait à refléter une physionomie gauche et guindée "
(Guerre et paix, Tolstoi, Livre 1, Folio, 2002)

(Source image : Audrey Hepburn, desseintes.over-blog.com)