mardi 30 juin 2015

L'heure H

L'heure zéro
Agatha Christie


Club des masques, 1966.

Quelle drôle d'idée ! Rassembler pour des vacances à La Pointe-aux-Mouettes l'ex-Mrs Strange - Mrs Audrey depuis son divorce - et Kay, la nouvelle tenante du titre, sous le prétexte d'en faire des amies... c'est de l'inconscience, pour ne pas dire plus. Car enfin, l'époux de ces dames n'a quand même pas la naïveté de croire qu'elles vont tomber dans les bras l'une de l'autre. D'ailleurs, si ces tigresses ne se sont pas encore écharpées, c'est qu'elles se retiennent. Pour l'instant. Les vertus calmantes de l'air marin, sans doute... Mais les choses n'en resteront pas là. Deux Mrs Strange sous le même toit, c'est une de trop...

Sans faire parti de l'élite, L'heure zéro est un bon cru de Dame Christie. 
Chacun de ses romans est prenant, bien écrit et intelligent. Il devient difficile d'écrire un article sur un roman d'Agatha Christie, j'ai l'impression de me répéter. Je serai donc brève.
L'heure zéro est un huis clos comme je les aime. Il n'est pas le plus réussi de l'auteur, mais on embarque dans cette histoire complexe de famille. Les personnages sont extrêmement durs à cerner et la tension entre eux est palpable. J'ai particulièrement aimé l’énigmatique Audrey, ainsi que le franc parler de Lady Tressilian. 
Je me laisse mener lorsque je lis un Agatha Christie, je ne cherche quasiment jamais à deviner qui est l'assassin. J'observe, j'écoute, j'admire le talent de l'auteure et je m'incline. L'heure zéro nous offre un "vrai" méchant, chose peu courante chez Christie qui aime les personnages en demi-teinte. 
L'heure zéro ne fait pas parti pour moi des romans "chefs d'oeuvre" de l'auteure mais il est efficace et passionnant.
Une dame incroyable à lire et relire.

" Quand vous lisez le compte rendu d'un meurtre -ou une oeuvre de fiction basée sur une histoire de meurtre- c'est par la relation dudit meurtre que débute d'ordinaire le récit. C'est là une erreur fondamentale. La mécanique criminelle est en marche depuis bien longtemps. Un meurtre est le point culminant d'une série d'éléments circonstanciels, qui, tous, convergent vers un moment donné, en un lieu donné. Des gens venus de tous les horizons, et souvent pour des motifs fortuits s'y trouvent impliqués [...]. Le meurtre en lui-même n'est que le couronnement de l'histoire. C'est l'heure zéro. "
(L'heure zéro, Agatha Christie, Club des masques, 1966)


mardi 16 juin 2015

" Du moins ai-je tenté de saisir ma vision et, si je n'y suis pas parvenue, j'aurai tout de même jeté mes filets dans la bonne direction."

Les vagues 
Virginia Woolf


Folio classique, 2012.

Tandis que les vagues déferlent sur le rivage, six voix s’élèvent en contrepoint, celles de trois filles et de trois garçons, qui parlent dans la solitude, se racontent, s’entrelacent, et pleurent la mort de leur ami Percival. 

Ce livre n’est pas dans le droit fil des ouvrages qui, de La Chambre de Jacob et Mrs Dalloway à Vers le Phare, puis des Années à Entre les actes, ont fait de Virginia Woolf la romancière la plus originale du XXe siècle anglais, mais une élégie, un poème en prose, où alternent souvenirs heureux et sombres de l’enfance, communions éphémères, rencontres manquées, amour de la vie et fascination de la mort. Chaque image fait surface un bref instant, à la manière de cet aileron entrevu un jour sur la mer vaste et vide, source de terreur et d’extase, que l’auteur s’efforce ici de capturer. Et les vagues, de leur grondement sourd et éternel, referment le livre comme elles l’avaient ouvert.

Ma première rencontre avec Virginia Woolf fut assez mitigée. Puis, il y a eu La promenade au phare et j'avais été éblouie par son écriture. Pourtant, je restais effrayée par les romans de Virginia Woolf. Tels des monuments inviolables, j'achetais ses romans sans jamais me décider à les lire. Ma main était tremblante lorsque j'ai ouvert Les vagues. Au bout de quelques lignes seulement, j'ai su que désormais je n'aurai plus jamais peur de Virginia Woolf. 
J'ai d'abord été surprise de lire ces pensées intérieures qui s'entremêlent, se répondent, s'opposent et s'épousent. Mais ma surprise a laissé place très rapidement à une immersion totale. Les vagues, c'est la beauté des mots, leur musique, leur force. Les phrases forment un chant murmuré à l'oreille et je me suis prise parfois à les lire à haute voix. On se laisse porter par la houle et le bruit des vagues. C'est beau. On lit, on écoute, on boit, on se nourrit. Virginia Woolf nous offre un texte incroyable. Je n'ai jamais rien lu de tel. Là où elle prouve son immense talent, c'est qu'elle aurait pu n'écrire qu'un long poème à la virtuosité et à la beauté parfaite, mais ce n'est pas que ça. En plus d'être captivée par la prouesse d'écriture, j'étais passionnée par l'histoire des six personnages, uniques, vivants, émouvants. Le sensible Neville, le complexé Louis, l'intellectuel Bernard, la maternelle Susan, la séduisante Jinny et Rhoda, l'oubliée. Autour d'eux, il y a Percival, le seul personnage qui ne s'exprime pas. Le récit n'est composé que de pensées intimes. Virginia Woolf sait comme personne mettre les mots sur les émotions les plus fines, les plus secrètes. Elle arrive à nommer l'indescriptible. Certains passages m'ont saisie tant ils arrivaient à mettre des mots sur des sensations pourtant impossibles à décrire. Comme le passage à l'âge adulte :
 " A présent, dit Bernard, l'heure est venue. Le jour est venu. Le fiacre est à la porte. Mon énorme malle fait plier les jambes arquées de George encore plus. L'odieuse cérémonie est terminée, les conseils, et les adieux dans le hall. A présent il y a cette cérémonie, gorge serrée, avec ma mère, cette cérémonie, échange de poignées de main, avec mon père ; il faut à présent continuer à faire au revoir de la main, continuer à faire au revoir, jusqu'à ce que nous prenions le virae. A présent cette cérémonie est terminée. Le Ciel soit loué, toutes les cérémonies sont terminées. Je suis seul ; je vais au collège pour la première fois. " (p61) 

Ou cette émotion si forte que l'on ressent en plongeant dans un autre monde, si bien qu'on peut le voir et le sentir rien qu'en l'imaginant : 
Voici un poème à propos d'une haie. Je vais y flâner et y cueillir des fleurs, la bryone verte et l'aubépine couleur de lune, les églantines et le lierre serpentin. Je les serrerai dans mes mains et les déposerai sur le bureau luisant. Je m’assoirai sur la rive tremblante de la rivière et je regarderai les nénuphars, larges et lumineux, qui jettent sur le chêne qui domine la haie les rayons de lune de leur laiteuse lumière. " (p91) 

C'est particulièrement difficile de parler de cette oeuvre complexe et sublime. Virginia Woolf  fouille notre esprit, nos pensées et arrive à les coucher sur le papier tout en gardant leur essence première. Au détour d'une page, elle nous immobilise par une phrase, un mot tellement juste que ça en devient presque douloureux. Florilège : 
"Mais regardez - il porte vivement la main derrière sa tête. C'est à cause de tels gestes qu'on tombe désespérément amoureux pour le reste de sa vie. " (p68) 
" J'ai cinquante ans, j'ai soixante ans à dépenser. Je n'ai pas encore puisé dans mon trésor. Je commence seulement. " (p90) 
" Dans un monde qui contient l'instant présent, dit Neville, pourquoi faire des distinctions? On ne devrait rien nommer de peur qu'en nommant quelque chose on ne le change. " (p121)

J'ai beaucoup pensé à Virginia Woolf en lisant Les vagues. J'ai eu du mal à me détacher de son image, assise à son bureau et écrivant, presque en transe, plongée dans son monde.
Une expérience littéraire unique, une prouesse d'écriture, une tempête émotionnelle ... Bref, une grosse claque!

Citation en titre de ce billet tiré du journal de Virgina Woolf au sujet des Vagues.

" J'ai perdu mon indifférence, mes yeux vides, mes yeux en forme d'amande qui voyaient jusqu'à la racine des choses. Je ne suis plus janvier, mai ou tout autre saison, mais je suis le fil fin tissé autour du berceau, qui enveloppe du cocon de ma chair les membres fragiles de mon bébé. Dors, dis-je, et je sens monter en moi une violence plus sauvage et plus sombre, qui me ferait d'un coup abattre tout intrus, tout voleur d'enfants, qui s'introduirait dans cette chambre et réveillerait le dormeur. "
(Les vagues, Virginia Woolf, folio classique, 2012, p224/225)


(Image : Peter Severin Kroyer, Summer evening on the beach)



dimanche 14 juin 2015

Tea time ... Carrot cake

Carrot cake

Je respecte la tradition et vous présente pour ce nouveau mois "british" une recette anglaise typique du tea time. 
L'année dernière, j'avais préparé un bread pudding, l'année d'avant des scones. Cette année, j'ai fait mon premier carrot cake et ce fut un régal. Je suis très fière de moi!


Simple à faire et succulente, cette recette est parfaite accompagnée d'un thé. J'ai dégusté ce gâteau avec mon fils qui a adoré ce goûter rigolo à base de carotte. C'est très frais, doux et peu sucré. 
J'ai juste modifié la recette sur la fin. Elle proposait de recouvrir tout le cake avec de la pâte d'amande. Je trouvais cela un peu lourd. J'ai préféré le napper légèrement du reste de mascarpone. 

Une petite part, un thé et Virginia Woolf ... 

Je vous donne la recette (en photo ci-dessous). Elle vient de ma bible culinaire pour les desserts. Ce livre est superbe. Toutes les recettes sont excellentes et les photographies "vintage" le rendent très agréable à feuilleter. Plusieurs recettes anglo-saxonnes et bien d'autres. Un achat à faire absolument.


Bonne continuation du mois anglais!

mardi 9 juin 2015

" ... la vie renfermait encore d'infinies possibilités de changement ".

Quatuor d'automne 
Barbara Pym

Petit bac 2015

 10/18, 2003.

" L'embarras règne dans Quatuor d'automne et cerne le quotidien insoupçonné, au fil des saisons, de quatre employés de bureau célibataires, nourris de suppléments photos en couleurs et de café soluble. Deux d'entre eux, la candide, très soignée Letty et la bizarre Marcia, vont prendre leur retraite et donc quitter leurs collègues Norman et Edwin. Ceux-ci les invitent à déjeuner, c'est moins cher. Une occasion, pour Letty, de sortir son tailleur en tweed, mais l'angoisse, pour ces messieurs. De quoi vont-ils parler ? Un roman au goût de papier peint, où l'exactitude de l'observation rivalise avec la grâce un peu tremblée de l'écriture. " Corinne Desarzens

J'avais découvert Barbara Pym avec Des femmes remarquables et j'avais été conquise par son style fin, à la fois drôle et émouvant. Quatuor d'automne m'a tout autant charmée. 
Chez Barbara Pym, il ne se passe pas grand chose. Elle parle de la vie dans sa plus infinie banalité. On croise dans ses romans Monsieur et Madame Tout-le-monde qui n'ont rien d'extraordinaire : "Elle n'avait jamais rougi de lire des romans, mais si elle espérait au début en trouver un qui décrivît le genre de vie qu'elle menait, elle avait fini par se rendre compte que la situation d'une femme célibataire, sans attache et vieillissante, n'offre pas le moindre intérêt pour les auteurs modernes" (p9). Pourtant, Barbara Pym arrive à les rendre intéressants. Tous ses personnages sont vrais. On a beau être passionnés par Anna Karenine, Jane Eyre et Harry Potter, on doit bien avouer que notre vie ressemble davantage à celle de Letty, personnage très attachant de Quatuor d'automne. J'ai aimé cette femme très réservée, exigeante avec elle-même, mais compatissante avec les autres. Maria m'a énormément émue dans son envie d'être choyée, quitte à tomber malade et se faire du mal, mais incapable de demander réellement de l'aide et repoussant toutes les mains tendues. Norman est un râleur qui cache beaucoup d'empathie sous sa carapace. Quant à Edwin, il m'a paru assez fade par rapport aux autres, mais c'est celui qui tentera le plus de garder le contact avec les trois autres collègues. Il sera souvent à l'initiative de rencontres. 
Ce roman est nettement plus sombre et mélancolique que Des femmes remarquables. Barbara Pym traite de la solitude, de la maladie, de la mort. Ces quatre collègues de boulot sont attachants, mais aussi très étranges dans leurs relations ... qui sont d'ailleurs très complexes. Ils passent énormément de temps ensemble, mais semblent à peine se connaître. Barbara Pym reste très vague sur leurs émotions et même sur leurs attirances éventuelles. Quatuor d'automne est très profond. C'est un roman a l'histoire très simple et à l'intrigue presque inexistante, mais qui soulève énormément de questions. 
J'aime la plume de Barbara Pym car elle est profondément modeste. Elle me fait souvent rire, m'attendrit aussi. Avec douceur, naturel et humilité, elle nous conte des bouts de vie, des bouts d'existences banales et leur redonne l'importance qu'elles méritent.
Une jolie plume que je relirai avec plaisir.

" - Qu'allez-vous faire quand vous serez à la retraite? lui avaient demandé les gens, certains parce qu'ils voulaient vraiment savoir, d'autres avec une curiosité malsaine.
Naturellement elle avait répondu par des banalités - qu'il serait agréable de ne pas avoir à se rendre au bureau - qu'elle aurait maintenant le temps de faire toutes les choses dont elle avait toujours eu envies (ces "choses" ne furent pas précisées) - et de lire tous les livres qu'elle n'avait jamais eu le temps de lire jusque là. Middlemarch, Guerre et paix, peut-être même lLe docteur Jivago. "
(Quatuor d'automne, Barbara Pym, 10/18, 2003, p124)


(Image : Hopper)