samedi 25 juin 2016

" Comme il était difficile de satisfaire tous les désirs d’un homme ! "

Infidélités 
Vita Sackwille-West

Livre de poche, 2014.

Elle n’a que lui et elle l’adore, mais lui ne pense qu’à s’enfuir au plus vite… Elle dort à ses côtés, et lui, « les yeux grand ouverts dans la nuit », rêve à une autre… Elle attend depuis toujours qu’il s’engage, et lui ne peut attendre de lui révéler sa nouvelle existence… 
L’amour à sens unique, l’amour trahi, la vie qui se fendille en une seule phrase, négligemment glissée dans la conversation : dans ces six nouvelles composées entre 1922 et 1932, Vita Sackville-West montre une fois de plus à quel point elle excelle dans le tableau doux-amer des sentiments inexprimés.

Vita Sackville-West nous offre, avec ce recueil de nouvelles, une brillante analyse de l'esprit humain. 
Tel un cocon douillet, les premières lignes de la nouvelle ouvrant le recueil nous enveloppe de bonheur. Derrière cette douceur se cache la cruauté ... et tout le talent de Vita Sackville-West se dévoile.
Pris dans les filets de la passion, les personnages de cette oeuvre très réussie vont se révéler, se découvrir et parfois se replier sur eux-mêmes. Chacune de ses six nouvelles est travaillée avec précision et justesse. Telle une chirurgienne, Sackville-West dissèque les travers de l'Homme tourmenté par la passion ou le désir. Avec toujours cet humour qui lui est propre, elle nous conte les histoires de ses personnages vrais et justes. Parfois touchants, inquiétants à d'autre moment, j'ai aimé rencontrer les différents portraits de ce recueil. 
Même si pour moi Toute passion abolie reste indétrônable, Infidélités est une oeuvre très riche où l'on retrouve tout le génie de Sackville-West. 
"Ce matin- là, elle se réveilla plus tôt qu’elle ne l’aurait souhaité, voguant d’un sommeil délicieux vers un éveil tout aussi doux. Elle s’étira en glissant nonchalamment ses mains sous les oreillers duveteux éparpillés sur son lit sa tête, ses épaules s’enfonçaient dans ce nid douillet. Elle aimait en avoir beaucoup ; c’était un de ses petits luxes personnels, d’ailleurs elle en faisait souvent la remarque : qu’est- ce qu’une maison, sinon le lieu où l’on s’autorise tous les petits luxes possibles ?"
(Infidélités, Vita Sakville-West, Livre de poche, 2014.)
(Photos : Romanza2016)

vendredi 17 juin 2016

Être ou ne pas être?

Ma cousine Rachel
Daphné du Maurier

 Livre de poche, 1969.

Philip, sans la connaître, déteste cette femme que son cousin Ambroise, avec lequel il a toujours vécu étroitement uni dans leur beau domaine de Cornouailles, a épousée soudainement pendant un séjour en Italie.
Quand Ambroise lui écrira qu'il soupçonne sa femme de vouloir l'empoisonner, Philip le croira d'emblée. Ambroise mort, il jure de le venger.
Sa cousine, cependant, n'a rien de la femme qu'imagine Philip. Il ne tarde pas à s'éprendre d'elle, à bâtir follement un plan d'avenir pour finir par buter sur une réalité de cauchemar.


Daphné du Maurier sait, comme personne, créer des histoires captivantes, à l'intrigue complexe et au suspense haletant.  
Après avoir aimé, Les oiseaux et autres nouvelles, L'auberge de la Jamaïque, Le général du roi, avoir été éblouie par Rebecca et La chaîne d'amour, Ma cousine Rachel m'a à son tour happée ... et ce fut un délice. 
Malgré les nombreuses révélations et mystères qui jalonnent le texte, ce roman est assez lent. Daphné du Maurier nous laisse dans une sorte de routine. Nous voyons Philip et Rachel vivre (en apparence) tranquillement. La majorité du roman se passe dans le même lieu, avec les mêmes personnages. Tout comme dans Rebecca, du Maurier crée un huis clos faussement paisible. Ma cousine Rachel est un roman violent. Violence des sentiments, des intrigues, des suspicions. L'incipit est glaçant et annonce à lui seul le ton sombre du roman. En une phrase, nous sommes attrapés, plongés dans l'univers si noir et brutal de Dame du Maurier.  
Philip étant le narrateur nous n'avons que son point de vue. Je l'ai suivi aveuglement en ce qui me concerne. Ce n'est que dans les dernières pages où je me suis demandée si ce que j'avais lu était vrai. Philip n'a t-il pas tout interprété de travers dans son aveuglement passionné, sa volonté de ressembler en tout point à Ambroise? Ai-je été manipulée? Ou bien, Rachel est-elle bien une femme fausse et rusée? Je dois avouer (et même si ça fait le génie de l'écrivain) avoir été frustrée en refermant ce roman. Je n'en dirai pas plus, ceux qui l'ont lus savent de quoi je parle. J'ai terriblement envie d'en parler et de connaître l'interprétation des autres lecteurs sur ce roman. 
Ma cousine Rachel est à la fois un roman palpitant, plein de secrets révélés, un page-turner addictif, mais aussi un roman où il ne se passe rien, où nous attendons le dénouement assez sagement au coin du feu une tisane à la main comme Rachel et Philip. 
J'aime Daphné du Maurier. J'aime les histoires qu'elle crée, j'aime ses personnages troubles, ambigus, ses univers sombres et inquiétants, ainsi que son écriture passionnément efficace.  
Je ne lasserai jamais de la lire. 
Ma cousine Rachel n'a pas, pour moi, la force de Rebecca ou de La chaîne d'amour (L'amour dans l'âme), mais c'est un huis clos parfaitement maîtrisé et captivant. 
Une réussite totale!
" Dans l'ancien temps, on pendait les gens au carrefour des Quatre-Chemins.
On ne le fait plus. Maintenant, quand un assassin paie sa dette à la société, cela se passe à Bodmin, après jugement en due forme aux assises. Je parle des cas où la loi le condamne avant que sa propre conscience ne l'ait tué. C'est mieux ainsi. Cela ressemble à une opération chirurgicale, et le cadavre reçoit une sépulture décente bien que la tombe reste anonyme. Dans mon enfance, il en allait autrement. Je me rappelle avoir vu, petit garçon, un homme enchaîné et pendu au carrefour où se croisent les quatre chemins. Son visage et son corps étaient enduits de goudron afin d'en retarder la corruption. Il resta pendu là cinq semaines avant d'être décroché et ce fut la quatrième semaine que je le vis."
(Ma cousine Rachel, Daphné du Maurier, Livre de poche, 1969, p5) 
(Photos : Romanza2016)

vendredi 3 juin 2016

Le vol? Ce n'est pas très convenable, ma chère!

Une question purement académique
Barbara Pym

10/18, 1986.

Caro est une épouse d'universitaire. Son couple sombre dans la routine. Elle décide d'aider son mari dans sa carrière en lui permettant d'accéder à un manuscrit tenu secret. 

Une question purement académique est ma troisième lecture de Barbara Pym et même si l'intrigue de ce roman m'a moins séduite que les précédents (Des femmes remarquables et Quatuor d'automne), j'ai pris un plaisir infini à lire la plume si vive de Miss Pym. 
Caro est une héroïne attachante, malgré une certaine faiblesse de caractère. Son mari, Alan, est un être particulièrement égoïste. Autour d'eux gravitent des personnages loufoques, risibles et étranges. La plupart d'entre eux sont terrés dans leurs idées et leur éducation. Caro prendra une décision importante. Elle choisira d'aider son mari à dérober le manuscrit d'un vieux savant placé en institut. Malgré cette action, Caro est assez passive. Elle observe sa vie d'épouse, de mère, de femme avec un regard assez critique, mais ne tente rien pour améliorer la situation. 
Comme toujours chez Pym, les chapitres s'enchaînent, décrivent le quotidien ordinaire d'anglais ordinaires. Une histoire hors du temps, délicieusement vintage et décalée. Bien que le sujet soit assez moderne (la routine dans le couple, l'infidélité, le désir, l'indépendance de la femme), l'écriture de Barbara Pym nous plonge dans un cocon intemporel fait de thé et de réceptions.
J'ai été de nouveau conquise par la finesse de Barbara Pym, sa façon si anglaise de tout dire dans un silence, son humour dans les dialogues, sa capacité à me captiver avec un rien.
" On avait du mal à croire que Dolly Arbofield était la sœur de Kitty Jeffreys, même si l'on pouvait déceler un léger air de famille dans les traits. Dolly avait les cheveux gris et frisottés et elle portait des vêtements qui se fondaient dans un décor de vieux livres, de bric-à-brac et d'animaux. Elle avait quelques années de plus que Kitty et avait l'habitude de plaisanter sur son nom, Dorothea, qui signifiait "don de Dieu". Pour ses parents, qui avaient désiré un fils mais ne devaient avoir que des filles, peut-être ce nom contenait-il une certaine ironie, d'autant que Dolly n'était même pas la plus jolie. "
(Une question purement académique, Barbara Pym, 10/18, 1986, p 23)

(Images : Romanza2016)