dimanche 25 septembre 2016

I feel good!

La malédiction des pharaons 
Elizabeth Peters

 Livre de poche, 1981.


" C'était bien l'intention de sir Henry de poursuivre ses fouilles à Louxor jusqu'aux fondations de l'édifice pour s'assurer que la sépulture n'avait pas été découverte lors de la précédente expédition.

Et de fait, à peine les ouvriers s'étaient-ils mis à l'oeuvre, que leurs pelles dégagèrent la première marche d'un escalier taillé dans le roc. Le Times en fit un compte rendu détaillé en page trois. La dépêche suivante, en provenance de Louxor, eut droit en revanche à un gros titre en première page. Sir Henry Baskerville était allé se coucher la veille en pleine santé. On l'avait retrouvé le lendemain matin dans son lit, rigide et sans vie, le visage déformé par l'épouvante.
Sur son front, on reconnaissait, grossièrement dessiné avec du sang, un uræus, le cobra sacré des anciens Egyptiens, le symbole divin des pharaons.

Une fois encore, l'impavide Amelia Peabody, son mari, l'éminent égyptologue Radcliffe Emerson, et leur fantasque rejeton, le jeune Ramsès, devront affronter le mystère et conjurer la malédiction des pharaons.

J'ai découvert Amelia Peabody avec le premier tome de ses aventures, Un crocodile sur un banc de sable, il y a quelques années. L'ambiance British, l'Egypte, l'humour de la plume de Peters m'avaient emballée. Ce second tome fut un régal. Les romans d'Elizabeth Peters rentrent sans aucun doute dans ma liste de romans qui rendent heureux. Une série "Feel good" à découvrir très vite si ce n'est pas déjà fait. 
La série Amelia Peabody s'inscrit dans la tradition des vieux policiers tels Agatha Christie ou Patricia Wentworth, mais avec une plume plus moderne. Je tombe complètement sous le charme de cet univers envoûtant. C'est moins pour l'intrigue policière que pour l'ambiance, les personnages, les dialogues que je me suis régalée. Le mystère entourant la mort de Lord Baskerville bien qu'intéressant n'est pas l'attrait principal de ce roman. Rien que pour les personnages d'Amelia et Emerson, cette série doit être lue. Amelia est un bijou d'ironie et d'intelligence. Lire ses réflexions, ses tirades sont un pur régal. C'est une femme moderne, indépendante, féministe. Pas question de rester tranquillement au salon à boire le thé pendant que monsieur participe à des fouilles. Amelia, ombrelle en main, est de toutes les aventures. Quant à Emerson, comment ne pas être séduite par cet homme bourru mais tendre, spirituel et un brin prétentieux? La relation entre Amelia et Emerson est passionnante. Entre respect, rapport de force, complicité, Elizabeth Peters a crée un couple inoubliable. Je ne me lasse pas de leurs échanges enflammés, de leur répliques cinglantes, mais aussi de leur profonde affection et leur grande estime l'un envers l'autre. J'ai énormément ri. Et ça fait un bien fou. 
Sans oublier le cadre! L'Egypte et ses merveilles, le milieu de l'archéologie, la connaissance, le savoir. Cette série est un mélange de détente, d'humour et un bel hommage à la science et la découverte. 
Pour ceux qui craignent de se lancer dans une énième série aux tomes trop nombreux, sachez que les romans d'Amelia Peabody peuvent se lire indépendamment. Cependant, il existe une certaine chronologie et je les lirai dans l'ordre si j'étais vous. Vous pouvez laisser plusieurs années entre chaque tome, vous ne serez pas perdus. Désormais je sais, pour ma part, qu'Amelia Peabody viendra régulièrement s’immiscer entre deux lectures. Telle Agatha Christie, elle sera une petite tradition annuelle. 
" Les événements que je vais vous relater commencèrent par un après-midi de décembre, jour où j’avais convié Lady Harold Carrington et certaines de ses amies à prendre le thé.Ne vous laissez pas abuser, aimable lecteur, par cette déclaration liminaire. Elle est exacte, certes (comme le sont toutes mes déclarations), mais si vous nourrissez l'espoir de lire un récit de simplicité pastorale, agrémenté de commérages sur la haute société du comté, vous serez cruellement déçu. La paix bucolique n'est point mon élément, et l'organisation de goûters n'est en aucun cas ma distraction favorite. Pour tout dire, je préférerais être pourchassée dans le désert par une bande de derviches sauvages armés de lances et assoiffés de sang. J'aimerais mieux être poursuivie par un chien enragé et contrainte de me réfugier dans un arbre, ou me retrouver face à une momie sortie de son tombeau. J'aimerais mieux affronter des poignards, des pistolets, des serpents venimeux ou la malédiction d'un roi trépassé depuis des siècles.Quitte à être accusée d’exagération, permettez-moi de souligner que j'ai connu toutes ces expériences, à l'exception d'une seule. Remarquez, Emerson a déclaré un jour que si je devais réellement rencontrer une bande de derviches, même les plus pacifiques d'entre eux seraient enclins à me massacrer au bout de cinq minutes, excédés par mes incessantes récriminations. Pour Emerson, il s'agit là d'une remarque spirituelle. "(Incipit, La malédiction des pharaons, Livre de poche, 1981)
(Photos : Romanza2016)

vendredi 2 septembre 2016

" On n'entre pas tous les jours dans un conte, surtout au temps des jeux en ligne. "

Elio
Pierre Lieutaghi

Actes Sud, 2014.

 Dans une grande maison-jardin désuète de la banlieue lyonnaise, Elio, qui n’a pas encore vingt ans, amoureux des herbes folles jusqu’à jalouser les coccinelles, rencontre les mots dont il a tôt deviné que d’eux seuls viendra le salut. Il vit avec Isée, la soeur rieuse et impertinente, et Linda, une mère infiniment plus douée en tendresse qu’en aveux. Dans la famille, l’affection n’est jamais absente, mais le secret qui entoure la mort du père empêche une vraie parole. Linda n’a épargné personne dans le piège de silence qu’elle s’est à elle-même tendu le jour de la mort de Martin. Il faudra l’irruption joyeuse et formatrice de Lise, celle qui magnifie les petites choses et dédramatise les grandes, la complicité du grand-père Luciano et les secrets d’un herbier pour la libérer de la culpabilité, pour qu’Elio et Isée connaissent la part d’amour et de vérité contenue en chaque mensonge.
Au long de ce roman de la filiation, des attachements, des renoncements et des rencontres bouleversantes, la voix d’Elio emprunte à la sagesse des proches, mais aussi aux épreuves, les mots justes et l’humour pour dire la complexité des premiers savoirs et des premiers désirs.
Ce récit d’apprentissage du bonheur est le premier roman d’un écrivain qui a longtemps privilégié l’ethnobotanique.


C'est très lentement que je suis rentrée dans ce texte peu connu. A pas de loup, j'ai volé des instants à un planning bien chargé. Au bout de quelques pages, j'ai compris que j'étais plongée dans un roman particulier, doux et envoûtant. Elio est un petit coup de cœur. Discret, mais bien réel
Pierre Lieutaghi prône le respect de la langue, c'est un amoureux du beau langage. Elio nous offre une lecture riche et des phrases travaillées. C'est un roman qui se veut à la fois humain et érudit. Bien que parfois complexe, l'écriture reste fluide et agréable. L'auteur revendique l'importance de la culture, de la curiosité. Elio est plein de références, parfois explicites, souvent discrètes. Le lecteur est sollicité, stimulé. Art, littérature, cinéma, ... le monde d'Elio est riche, ouvert au monde et à la connaissance. 
Il est vrai qu'il semble impossible de croiser dans la vraie vie des ados parlant comme Elio et Isée, ayant une telle maturité, un tel rapport entre eux et avec le monde, mais on y croit car l'histoire est humaine, bien écrite, juste. Le monde de Pierre Lieutaghi me plaît et j'y resterai bien.
Il n'y a rien de fantastique dans l'intrigue. Amoureux des page-turner, passez votre chemin! Elio n'est fait que de moments de vie, de questionnements. C'est un roman d'apprentissage d'une grande simplicité. L'écriture savante et poétique se heurte à l'intrigue très minimaliste
Les personnages de ce roman sont inoubliables. Ils sont vivants. Les dialogues sont efficaces, drôles et émouvants. Outre Elio et Isée, nous rencontrons la fantastique Lise qui rend tout merveilleux. Cette Mary Poppins en chair et en os viendra illuminer la vie des deux ados : "Dire que Lise a élargi notre compréhension du monde, et par conséquent de nous-mêmes, n'a rien d'exagéré" (p89)
Elio, c'est l'amour des instants simples, les petites joies, les petits riens. On remarque ces choses qui parfois nous échappent, on prend le temps, on prend du recul et on observe : "Elle fait son rire à réparer les jours en morceaux." (p350). Au pays d'Elio, on fuit les écrans et on ouvre un livre à la place. On prend le temps de cuisiner, étudier, discuter, s'éveiller, s'ouvrir au monde. Je donnerai beaucoup pour me rendre dans la maison de Lise entourée de nature, un coin de paradis hors du monde. 
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce roman d'une grande poésie. Elio n'est pas sans défaut, mais il est d'une si grande fraîcheur et si original que l'on oublie certaines longueurs avec joie. Je me suis sentie bien dans ce monde et c'est avec tristesse que je l'ai quitté. 
" Le retour à l'école. On rentrait à pied par beau temps. Lise connaissait des ruelles, des passages secrets entre les murs où elle avait ses rendez-vous saisonniers depuis l'enfance avec un chèvrefeuille, un rosier immense, un bigarreautier oublié des cueilleurs. On aimait bien revoir le chat de fonte peint en noir qu'elle nous avait montré sur un pilier, le bassin rocailleux plein de nymphéas, à travers le défaut d'un gros portail. Partout, à tout moment, il y avait des choses nouvelles à découvrir ; un nom sur une boîte aux lettres, où Lise décelait des étymologies farfelues (G.Mouru : quelqu'un qui est mort sans savoir ses participes passés. Brocoli : forcément né dans un chou. Chiron-Pelloux : lointain descendant d'un centaure particulièrement velu, etc.) ; un nid de rouge-queue dans une boîte à lettres, celle-ci avec un carton qui explique l'occupation pour maternité et demande au facteur de déposer le courrier "dans la poubelle rouge derrière la grille s'il vous plaît" ; un papier glissé entre mur et gouttière, qu'on déplie avec la conscience du sacrilège, dont on lit seulement les premiers mots avant de le remettre dans sa cachette : "Chloé chérie, je t'attens à 6h pré de ... - " J'ai honte pour lui, commente Isée. Si un garçon m'écrivait avec autant de fautes, il irait au cours de rattrapage avant d'oser m'appeler chérie" ; des centaines de fourmis qui s'échinent à faire entrer dans un trou trop étroit un lucane aux pattes encore agitées - le lendemain, pourtant il a disparu. "
(Elio, Pierre Lieutaghi, Actes sud, p74) 
(Photo : Romanza2016)