dimanche 4 décembre 2016

" Du corps par le corps avec le corps depuis le corps et jusqu'au corps "

Syngué sabour - Pierre de patience
Atiq Rahimi

Folio, 2013.

" Cette pierre que tu poses devant toi... devant laquelle tu te lamentes sur tous tes malheurs, toutes tes misères... à qui tu confies tout ce que tu as sur le coeur et que tu n'oses pas révéler aux autres... Tu lui parles, tu lui parles. Et la pierre t'écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate. Elle tombe en miettes. Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines... Comment appelle-t-on cette pierre ? " En Afghanistan peut-être ou ailleurs, une femme veille son mari blessé. Au fond, ils ne se connaissent pas. Les heures et les jours passent tandis que la guerre approche. Et la langue de la femme se délie, tisse le récit d'une vie d'humiliations, dans l'espoir d'une possible rédemption.

Syngué sabour est un roman qui ne peut laisser indifférent. L'histoire de cette femme sans prénom, symbole de toutes les femmes opprimées, interroge, bouscule, révolte. Je dois avouer que je ne m'attendais pas à une écriture si crue et directe. Syngué sabour m'évoquait quelque chose tout en retenue, très poétique. En réalité, c'est un texte sans concession, très dur ou rien ne nous est caché. Nous rentrons dans le cœur de cette femme n'ayant jamais connu la tendresse ou le respect. Tandis que son mari est plongé dans le coma, elle ose lui confier ses pensées, ses peines, sa colère. En tant que femme, on ne peut qu'être révoltées de la vie du personnage féminin. Aucun droit d'opinion, aucune liberté d'expression, ... Toujours taire ce que l'on ressent, avoir constamment tort, être par principe une "chose" faible, impure et immorale, ... Mon cœur s'est beaucoup serré à la lecture de ce texte. 
Syngué sabour est un témoignage puissant et violent de la condition féminine. L'écriture manque de douceur et de poésie pour ma part, mais je comprends qu'avec un tel sujet, une telle réalité, la douceur aurait été presque déplacée. Oui, c'est cru, dur et révoltant, mais il s'agit d'un fait qu'il est essentiel de dévoiler et de connaître.

" Je n'ai jamais compris pourquoi chez vous, les hommes, la fierté était tant liée au sang. Sa main se lève encore dans les airs. Ses doigts bougent. On dirait qu'elle fait signe à quelqu'un d'invisible de s'approcher. Mais tu te rappelles qu'un soir; c'était au début de notre vie commune, tu étais rentré tard. Ivre mort. Tu avais fumé. Je m'était endormie. Sans me dire un mot, tu as baissé ton pantalon. Je me suis réveillée. Mais j'ai fait semblant de dormir profondément. Tu m'as...pénétrée... Tu as eu tout le plaisir du monde... mais lorsque tu t'es levé pour te laver, tu as aperçu du sang sur ta queue! Furieux tu es revenu et tu m'as battue au beau milieu de la nuit, juste parce que je t'avais pas averti que j'avais mes règles. Je t'avais sali! ricana-t-elle. J'avais fait de toi un impur! "

(Syngué sabour, Atiq Rahimi, Folio, 2013)
(Photos : Romanza2016)

2 commentaires:

Cleanthe a dit…

Tu me fais découvrir ce livre. Je note ce titre.

Praline a dit…

J'ai vu le film il y a quelques années, je l'avais trouvé très beau, peu de mots mais beaucoup d'émotions.