vendredi 26 janvier 2018

" Shimamura se disait que si l'homme avait la peau dure et l'épaisse fourrure de l'ours, son univers serait bien différent ".

Pays de neige
Yasunari Kawabata

Le livre de poche, 1991.

À trois reprises, Shimamura se retire dans une petite station thermale, au cœur des montagnes, pour y vivre un amour fou en même temps qu'une purification. Chaque image a un sens, l'empire des signes se révèle à la fois net et suggéré. Le spectacle des bois d'érable à l'approche de l'automne désigne à l'homme sa propre fragilité. 

Pays de neige est ma troisième lecture de Kawabata, après La danseuse d'Izu et Les belles endormies, et comme toujours j'ai beaucoup de mal à parler de cet auteur. Kawabata me berce par sa prose extrêmement poétique tout en me déstabilisant complètement. 
Pays de neige est un roman très lent, plein de symboles et de métaphores. Shimamura retrouve Komako dans une station thermale de montagne. Leur relation est très particulière. Je crois que j'aurai beaucoup de mal à la décrire. Shimamura et Komako ne sont pas attachants. Ils sont étranges, réagissent bizarrement, ne disent pas les choses franchement ... sûrement par pudeur. Pour la lectrice occidentale que je suis, leurs attitudes ne sont pas très compréhensibles. Je dois admettre ne pas avoir tout compris. Quels sentiments éprouvent-ils réellement l'un pour l'autre? Quel est le rôle de la mystérieuse Yoko? Quelle symbolique donner à cette fin particulière? Kawabata est un auteur qui me fruste beaucoup. Je ressors constamment de ses lectures avec un sentiment d'inachevé. Pourtant, il y a cette plume si délicate, si envoûtante qui emporte et bouleverse. Sans comprendre toutes les nombreuses subtilités des romans de Kawabata, j'y vogue comme on se perd dans la contemplations d'une estampe. 
Kawabata est un auteur à lire. Ses romans nous emmènent loin, nous font sortir de notre zone de confort, nous berce de leur belle poésie. Cependant, malgré le nombre de pages limité, ces textes sont complexes, pleins d'implicites, parfois difficiles à lire pour nous occidentaux. 
"Oh ! la Voie lactée… elle est splendide » s'exclama Komako, courant toujours devant lui, les yeux levés vers le ciel.La Voie lactée… En la regardant lui aussi, Shimamura eu l'impression d'y nager, tant sa phosphorescence lui parut proche, comme si elle l'eût aspiré jusque-là. le poète Bashô en voyage, était-ce sous l'impression de cette immensité resplendissante, éblouissante, qu'il l'avait décrite comme une arche de paix sur la mer déchaînée ? Car c'était juste au-dessus de lui qu'elle inclinait sa voûte, enserrant la terre nocturne de son étreinte pure, indéchiffrable, sans émoi. Image pure et proche d'une volupté terrible, sous laquelle Shimamura, un bref instant, se représenta sa propre silhouette découpée en une ombre aussi multiple qu'il y avait d'étoiles, aussi innombrablement multipliées qu'il y avait là-haut de particules d'argent dans la lumière laiteuse et jusque dans le reflet miroitant des nuages, dont chaque gouttelette infime et rayonnante de lumière se confondait avec son infinité, tant le ciel était clair, d'une limpidité et d'une transparence inimaginables. Cette écharpe sans fin, ce voile infiniment subtil, subtilement tissé dans l'infini, Shimamura ne pouvait en détacher son regard".(Pays de neige, Kawabata, Livre de poche, 1991)
(Romanza2018)

mercredi 17 janvier 2018

Blues et concerto

Corps et âme
Frank Conroy

Folio, 2011.

A New York, dans les années quarante, un enfant enfermé dans un sous-sol regarde les chaussures des passants. Pauvre, sans autre protection que celle d'une mère excentrique, Claude Rawlings semble destiné à demeurer spectateur d'un monde inaccessible. Mais dans la chambre du fond, enseveli sous une montagne de vieux papiers, se trouve un petit piano désaccordé. En déchiffrant les secrets de son clavier, Claude va se découvrir lui-même : il est musicien.
Ce livre est l'histoire d'un homme dont la vie est transfigurée par un don. Son voyage, jalonné de mille rencontres, amitiés, amours, le conduira dans les salons des puissants, et jusqu'à Carnegie Hall ...
La musique, évidemment, est au centre du livre - musique classique, grave et morale, mais aussi la pulsation irrésistible du jazz. Autour d'elle, en une vaste fresque foisonnante de personnages, Frank Conroy brosse le tableau fascinant, drôle, pittoresque et parfois cruel d'un New York en pleine mutation.

Première lecture 2018 et énorme coup de cœur.
Corps et âme est un roman qui traîne dans mes étagères depuis plusieurs années, acheté sur un coup de tête et oublié pendant longtemps. Je n'explique pas ce qui m'a poussé à repenser à ce livre et ce qui m'a décidé à l'ouvrir. Toujours est-il que j'ai dégusté les 680 pages de ce roman sublime et que j'en ressors bouleversée.
Corps et âme est écrit avec un mélange de simplicité et de virtuosité. Un texte puissant, au style recherché et pourtant, d'une infinie justesse, d'un naturel et d'une humanité à couper le souffle. On plonge dans le New-York des années 40 à 60. Une fois la première ligne lue, c'est tout un monde qui s'ouvre. Nous suivons Claude, un enfant solitaire, maigrichon, oublié par tous ... même par sa mère. Cet enfant a un don : la musique. Il nous prend alors par la main, on embarque avec lui dans les rues enfumées et poussiéreuses de New-York, dans la boutique de l'attachant Weisfeld, dans les couloirs de son école et sur ses premières grandes scènes. J'ai été émue par l'histoire de Claude. J'ai tremblé avec lui, j'ai stressé avant de jouer devant mon public, je me suis révoltée. 
Corps et âme pourrait être une simple saga, un page-turner vite lu et vite oublié, l'histoire d'un petit gosse sans prétention, ses aventures et ses rencontres. En réalité, c'est bien plus que cela. On dévore les pages avec passion et pourtant, le texte prend son temps, le rythme est lent. Durant de longues périodes, rien ne se passe réellement. Frank Conroy égraine son histoire. C'est ce qui la rend si belle, si juste, si vraie. Ce roman est sans pathos, sans drames réels, sans révélations éclatantes. Il raconte la vie avec ses doutes, ses joies et ses peines. Corps et âme est l'histoire d'un petit garçon qui avait tout pour devenir délinquant et qui deviendra un virtuose du piano grâce à des rencontres. Ce roman parle de ces personnes que l'on croise au bon moment, qui nous font prendre d'autres chemins, qui nous aident à nous relever. 
Je ne suis pas musicienne, je ne lis pas la musique. J'aime l'entendre uniquement. Ce texte est un hymne à la musique. Ceux qui la joue et la comprenne doivent avoir une autre lecture que celle que j'ai eue. Certains termes musicaux, certaines descriptions m'ont échappé. Pourtant, à aucun moment, je me suis sentie mise de côté ou perdue. J'ai embarqué, j'ai suivi. 
Ma lecture de Corps et âme fait parti de celles qui prennent par surprise. Je n'attends rien de particulier, j'ouvre, je lis et soudain ... le plaisir. Ce plaisir si unique que seuls les lecteurs connaissent. 
Un roman à lire absolument. Une merveille.
" Ses mains voulaient jouer Bach, la petite Fugue en sol mineur. Les trois premières notes - la note fondamentale, la quinte et la tierce mineure - semblèrent entièrement magiques. Dans leur simplicité, il entendait la signification de toute la pièce, et, de là, de la compréhension de la fugue, lui vint la conscience totale de toute la musique, comme si toute la musique était sous-entendue dans n'importe quelle petite parcelle de musique, comme si toutes les notes étaient contenues dans n'importe quelle note."(Corps et âme, F. Conroy, Folio 2011)

(Photos : Romanza2018)

jeudi 4 janvier 2018

Des squelettes dans mes placards

Le trésor de Benevent
Patricia Wentworth

10/18, 1998.

Quelque part parmi la poussière et les toiles d'araignée de la propriété familiale des Benevent se dissimule leur légendaire trésor. Mais une mort horrible attend quiconque osera le dévoiler au grand jour. Lorsqu'elle arrive chez ses deux vieilles grand-tantes, Candida chasse ces idées de son esprit. Mais, très vite, elles reviennent la hanter. Bientôt elle pressent, sans savoir où ni comment, que sous les voûtes sombres du manoir des Benevent les anciennes prédictions vont se réaliser d'une manière terrifiante. Il faudra toute l'ingéniosité de miss Silver pour déjouer la malédiction des Benevent.

Voici ma seconde lecture d'une oeuvre de Patricia Wentworth, auteure de romans policiers. Je suis, de nouveau, charmée par son écriture très simple et prenante. 
Parfaits lorsque l'on manque de temps ou lorsque notre esprit est occupé par mille et une choses, les romans de Wentworth permettent de lâcher prise et de se détendre. Mais ces textes n'en sont pas pour autant superficiels. Le trésor des Benevent possède une solide intrigue et l'univers du roman est particulièrement bien rendu. J'ai adoré la scène d'ouverture. J'ai été totalement captivée
Candida est attachante. C'est une jeune fille douce et simple, mais également courageuse et déterminée. Les personnages qui gravitent autour d'elle sont très bien décrits. J'ai aimé le personnage de Miss Olivia, cette femme glaçante. Miss Silver, qui enquête discrètement, est très peu présente et n'a pas la prestance d'un Hercule Poirot, mais j'aime cette façon de s’éclipser pour ne pas faire de l'ombre aux autres protagonistes. 
J'ai frissonné par moment, mais j'ai surtout pris beaucoup de plaisir à suivre cette enquête sans prétention mais très bien menée. Je poursuivrai les aventures de Miss Silver avec joie. 
" Il eu un rire bref.- Et personne ne vous a parlé de la marée montante?Vous vous êtes laissé surprendre et vous avez tenté d'escalader la falaise. Quel âge avez-vous?- Quinze ans et demi. Évidement que je connais les marées. Je me suis renseignée... tout spécialement.- Qui vous a renseignée?- Quelqu'un de l'hôtel. Deux dames âgées... elles ont dit que la marée haute c'était à onze heure, et j'ai pensé que j'avais largement le temps de faire un tour sur la plage.- Si plage il y a ! La marée est haute à neuf heures moins le quart.Elle se tourna vers lui. Il n'était qu'une silhouette au crépuscule. Une silhouette et une voix. Mais Candida avait autre chose en tête... ses paroles concernant la marée. Si elle était haute à neuf heures moins le quart...- Alors pourquoi a-t-elle dit onze heure? demanda t'elle dans un souffle."(Le trésor des Benevent, P. Wentworth, 10/18, 1998, p13)
(Photos : Romanza2018)

mercredi 3 janvier 2018

Bilan 2017

Tradition oblige, je reviens sur mes lectures de cette année 2017.


Une année principalement marquée par ma reconversion professionnelle. Les six premiers mois de l'année ont été consacrés à la préparation de mon concours et j'ai du mettre mes lectures de côté. J'ai repris un rythme plus agréable depuis. Même si je ne lis pas autant que je le souhaiterai, j'arrive à lire quelques pages par jour et toujours avec beaucoup de bonheur. 
Ceci dit, mon nouvel emploi me prend BEAUCOUP de temps et au bout du compte, cette année fut pauvre en lecture. J'ai lu moitié moins de romans que les années précédentes. Mais je compte me venger en 2018. Enfin, essayer du moins ...


Voici quelques lectures marquantes :

Le maire de Casterbridge. Thomas Hardy est un auteur que j'aime énormément. Je compte bien lire Loin de la foule déchaînée en 2018.
La renarde de Mary Webb. Un roman sans prétention, un peu tombé dans l'oubli, qui m'a envoûtée. 
Les boucanières de ma chère Edith Wharton, auteure chère à mon cœur. 
Un barrage contre le Pacifique. Marguerite Duras m'étonne à chaque lecture. J'aime son style épuré. 
Itinéraire d'enfance de Duong Thu Huong fut un petit délice.
Le roman du mariage de Jeffrey Eugenides. J'aime les romans "campus américain" où le vernis se craque et laisse place aux doutes et aux angoisses. 
A la grâce des hommes de Hannah Kent. L'ambiance islandaise m'a particulièrement séduite dans ce roman juste et très bien écrit.
Une page d'amour d'Emile Zola. Je ne peux pas ne pas le citer. Zola, le grand, l'immortel.
Lettres des Isles girafines et Le journal d'Emma d'Albert Lemant. Deux œuvres de jeunesse magnifiques.

Pour cette année 2018, je me souhaite
  • Plus (beaucoup plus!) de lectures qu'en 2017.
  • De continuer à lire un peu tous les jours (même si ce n'est pas toujours facile).
  • De relire Anna Karenine (et ainsi instaurer une relecture par an de ces œuvres que j'aime tant).
  • De poursuivre mes lectures "duo" avec mon Romanzino où nous lisons un roman sur plusieurs jours ensemble.
  • De lire parfois autre chose que des romans (un recueil de poèmes que l'on grignote de temps à autre, une soirée volée avec un beau livre (histoire, arts, sciences, ...), une soirée BD ou encore pièce de théâtre ...)


Pour finir, mes petits nouveaux de Noël :


Je vous souhaite une belle année 2018 ... pleine de lectures et de sourires.